La démarche projet demeure-t-elle compatible avec l’intervention sociale ?

Année : 2009

Thème :

Type :

Auteur(s) :

REICHHART Frederic (France) – frederic.reichhart@wanadoo.fr

Résumé :

Au niveau français, la conjoncture actuelle met en perspective la « démarche projet » : focalisé sur l’usager, le projet individuel ou projet personnalisé, selon les appellations, identifie la singularité des difficultés, du potentiel et des motivations de chaque personne prise en charge.
Il apparaît tout d’abord auprès des enfants déficients intellectuels dans les annexes 24 dès la fin des années 1990 avant de se généraliser à l’ensemble des usagers avec la loi rénovant l’action sociale et médico-sociale du 2 janvier 2002 (Danancier 2004). De la même manière, cette loi impose la mise en place de projet d’établissement définissant la mission de la structure (Loubat, 2005). Telle une balise, le projet détermine le contenu et l’orientation du suivi de l’usager : à présent, une démarche structurée, méthodique conditionne l’intervention sociale.
En même temps, la France rencontre un courant réformateur qui restructure les professions de l’intervention sociale autour de référentiel-métier identifiant des compétences et des connaissances. En 2007, la mise en place de la réforme du Diplôme d’Etat d’Educateur Spécialisé découpe ce métier en quatre fonctions distinctes. Parmi celles-ci, le domaine de formation n°2 intitulé « Conception et conduite de projets sociaux et éducatifs » se consacre à l’apprentissage de l’utilisation de la démarche projet dans le cadre de l’intervention sociale.
Pourtant, de nombreuses critiques se cristallisent autour de l’utilisation du projet, entraînant craintes et hostilités. Comment expliquer ces attitudes négatives ? En fait, il apparaît que le projet convoque un ensemble de représentations situées aux antipodes des représentations « idéalisées » de l’intervention sociale. Il combine l’idée de contrôle avec l’impression de perte d’initiative, de liberté et d’autonomie des intervenants ; il incarne une démarche aliénante et réductrice qui biaise la qualité de la relation à l’autre.
Il s’agit de deux visions du travail social qui s’entrechoquent. D’un coté, le projet fait référence à des principes techniques et méthodologiques qui contribuent à la formalisation qualitative de l’intervention sociale : le professionnel devient celui qui maîtrise et organise son action à l’aide du projet, c’est « celui qui réfléchit à ce qu’il fait ».
Il observe, analyse, comprend, agit et évalue. De l’autre côté, l’intervention sociale se construit dans la préservation d’actions presque intuitives et spontanées qui défendent la primauté de la dimension relationnelle.
Fondée sur une conception du travailleur social des années 1960-70, elle convoque un « idéal pionnier » caractérisée par un engagement, relativement proche d’une vocation, certains parlant même de sacerdoce, qui mélange militantisme, altruisme et relation d’aide (Lapauw, 2004, 26). Dans cette idéologie, le projet semble menaçant car il annihile la pureté et la spontanéité d’un acte avant tout relationnel.
En ce sens, le projet illustre la transformation de l’intervention sociale : la fin du «fameux âge d’or du social » (Deslauriers et Hurtubise, 2007) impose de nouveaux modes de fonctionnement. Comme le dit Gacoin, « le cadre d’action a changé », mais le contexte aussi.
Compte-tenu de la précarité de la situation économique actuelle, moins favorable que celle des Trente Glorieuses, la nécessité de rationalisation et de gestion des ressources impose des « impératifs d’organisation ou de mesure, finalement d’efficacité » (Gacoin, 2006, 2).
Ces contraintes façonnent le nouveau visage du travail social. Le projet, impliquant une logique de programmation, de planification et d’évaluation, devient un principe organisateur (Boutinet, 1992) qui symbolise l’émergence d’un nouveau paradigme.

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