PARAZELLI Michel (Canada) – parazelli.michel@uqam.ca

Cette présentation se veut l’amorce d’une analyse épistémologique de la légitimité normative des savoirs au fondement des pratiques préventives de la délinquance juvénile en Amérique du Nord. Si la prévention de la délinquance juvénile peut être définie selon une variété de stratégies d’intervention visant des populations, des objectifs, et des milieux sociaux différents, elle peut aussi être analysée en fonction des repères normatifs qui guident de façon différentielle la conception des problèmes, des causes et de l’orientation de l’intervention (Karsz, 2011). Il y aurait donc « des » préventions et non pas « la » prévention dont pourraient se réclamer de concert tous les acteurs œuvrant dans le domaine. Afin de mettre en lumière ces différentes positions, deux représentations de la prévention seront décrites et analysées : la prévenance et la prédiction.

À partir d’une revue de la littérature scientifique en criminologie, sociologie et en travail social dans les bases de données (Sociological Abstract, Francis, Érudit, Virtuose), nous avons retenu 76 articles traitant d’approches préventives en délinquance juvénile principalement en Amérique du Nord (ex. : Reingle et al., 2012 ; Laventure et al., 2010 ; Le Blanc, 2010 ; Sénécal et al., 2010). Nous avons distingué deux grandes représentations de la prévention (prévenance et prédiction) en examinant les dimensions suivantes : la conception théorique du problème, l’identification de causalités et les unités d’observation retenues par les chercheurs. Par la suite, nous avons comparé ces résultats avec des documents publics associés aux ministères de la Sécurité publique du Québec (ex. : Québec, 2001) et de Sécurité publique Canada (ex. : Canada, 2009) décrivant leurs orientations politiques en matière de prévention, afin d’évaluer le degré d’influence politique de ces approches.

Ce travail réflexif est d’autant plus nécessaire face à l’injonction gestionnaire actuelle de fonder les pratiques sur des données probantes, appelées aussi les « meilleures pratiques » (best practices), qu’il vise à alimenter le débat sur la pertinence sociale et politique des fondements et finalités de certaines conceptions de la prévention de la délinquance juvénile. L’insistance mise sur les données probantes par plusieurs chercheurs et les ministères, a pour conséquence de privilégier les devis de recherches adoptant des approches positivistes de la production des connaissances dont l’objectivité est présentée comme neutre. En favorisant ce type de connaissances, d’autres approches possibles de l’idée préventive sont écartées par la disqualification de leurs savoirs spécifiques. Il est toujours utile de rappeler que les meilleures pratiques dites fondées sur les données probantes ne le sont qu’en fonction de leur adéquation normative avec une certaine conception du problème et de ses causes (Weinstock, 2008), ainsi qu’avec un certain idéal du vivre ensemble. On comprend ici qu’il s’agit d’un choix idéologiquement situé d’une position épistémologique parmi d’autres, et qui nous rappelle que « la » science non plus n’existe pas, mais que « des » sciences sont aussi en concurrence sur le marché de l’ordre social. Nous terminons notre analyse en montrant la nécessité pour les intervenants sociaux d’étudier les positions idéologiques marquant les différentes épistémologies scientifiques qui orientent les repères normatifs des pratiques préventives. Afin de situer la prévenance et la prédiction sur ce plan, nous discuterons de quatre types d’épistémologie en empruntant la catégorisation de Paillé (2012) : l’épistémologie du sens, de l’action, critique et du contrôle.

Épistémologie, Savoirs, Nouvelle qualification…, Prévention sociale