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Savoir-y-faire.

Année : 2013

Thème : Fabriquer un repère pour l'action, un jeu de rapports aux savoirs.

Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...

Auteur(s) :

MERLIN Sophie (France)

Résumé :

Notre démarche de compréhension de la pratique du travailleur social nous a conduit à faire travailler la question suivante « que faut-il savoir pour agir ? ». Ce travail s'est élaboré à partir de descriptions de situations et à partir d'une revue de la littérature. Au cours de cette étude, toujours en cours, nous avons repéré que des auteurs issus de champs théoriques et pratiques différents en référaient à l' idée de la métis pour caractériser un certain type de faire. Nous avons fait une lecture approfondi de l'ouvrage de référence de M. Détienne et J.P. Vernant, Les ruses de l'intelligence, la métis des Grecs (1974), lecture enrichie par les ouvrages de F. Jullien.
Nous souhaitons montrer qu'aborder la pratique, c'est-à-dire pour nous, l'exercice du métier, à partir de ce qu'enseigne l'idée de métis, permet de poser la question des savoirs non en termes de contenus mais en termes de rapport(s) du praticien à l'égard des savoirs. Cette approche permet également de comprendre en quoi la pratique comporte une dimension cognitive et une dimension normative et comment ces deux dimensions s'articulent.
Selon cette conception, le sujet dont l'action vise à transformer le monde, n'est pas le dépositaire d'une connaissance ou d'un savoir-faire, mais plutôt celui qui sait-y-faire. Le "y" désignant l'écart entre le praticien et l'autre considéré comme autre à venir et entre la situation et une (des) norme(s). Nous entendons la norme comme l'ensemble des savoirs institués par un collectif (connaissances scientifiques, savoir-faire technique, lois, règlements, us et coutumes...).
Dans la mythologie grecque, l'être à métis ( le navigateur, le chasseur, l'artisan, l'artiste, le pédagogue, l'homme politique, l'amoureux, le médecin, le magicien...) est celui qui fabrique des écarts avec l'objet de l'action, les fait travailler en vue d'obtenir une transformation. Ce faisant, il établit un espace propice au changement (Détienne, Vernant) : l'écart produit de l'entre. L' entre n'existe pas en lui-même, il « aménage du passage », condition à laquelle peut émerger de l'autre (Jullien, 2012). Cet entre que la pensée occidentale ne parvient pas à penser en d 'autre terme qu'en méta, qu'en intermédiaire, cet entre, engendré par l'écart « est à la fois la condition faisant lever de l'autre et la médiation qui nous relie à lui »( Jullien, 2012, p.72).
Pour fabriquer l' écart, l'être à métis opère par triangulation : il détermine sa position et celle de l'autre par rapport à une visée. La visée n'étant pas accessible dans l'immédiateté, il recourt à un élément significatif et pertinent par rapport à la visée, une référence. Ce signe qui fait sens et se donne à voir comme déjà là, en position d'antériorité, est un savoir reconnu collectivement, c'est-à-dire une norme ou savoir institué. Lorsque le sujet de l'action rapporte ses motivations et ses observations à des savoirs institués, il crée un écart et produit des savoirs localisés adaptés à la situation (Détienne, Vernant, 1974). L'écart n'est pas la description d'une différence mais l'établissement d'une distance productrice de savoirs, il ouvre un espace réflexif (Jullien, 2012). Autrement dit, établir ces rapports crée un repère.
Par ailleurs, cette opération de triangulation génère un lien particulier à l'autre. Détienne et Vernant utilisent les notions de "cheminer" et de "lier" pour expliquer comment les savoirs ainsi produits intègrent les limites de l'autre et celles du sujet de l'action. De ce fait, l'effectivité ne revient pas, comme Aristote l'entend, à un sujet-agent qui « veut, vise, entreprend », mais au fruit issu du processus qui lie adaptation du sujet de l'action à la transformation de l'autre (Jullien, 2009). A l'inverse de logos dont le propos est de serrer au plus près son objet et cherche à faire connaître, la métis préserve l'écart avec l'autre pour faire se réaliser (Jullien, 1995). Cela signifie pour l'être à métis se conformer à l'autre, non au logos, sans excès ni défaut.

Mots clés :

Épistémologie, Savoirs, Changement, rapport(s) aux savoirs

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