MAES Renaud (Belgique) – rmaes@ulb.ac.be

La thèse d’une obsolescence des savoirs acquis dans le cadre des études est de plus en plus répandue : il faudrait donc, au-delà des savoirs, développer les "compétences" des individus, seules à mêmes d’assurer une "adaptabilité" aux évolutions sociétales et aux progrès technologiques. Parmi les compétences, il existerait une famille particulière, les "compétences transversales" : celles-là seraient les plus importantes quant à l’adaptabilité individuelle et donc, quant aux possibilités d’insertion professionnelle et de maintien en activité des travailleurs.
L’intervention sociale - qui dans le cadre de l’implémentation des modèles d’Etat social actif acquiert pour unique objectif la mise à l’emploi la plus immédiate possible – se voit de la sorte et de manière croissante amenée à "travailler" les "compétences transversales". Par exemple, les conseillers censés aider à la recherche d’emploi développent dans ce cadre des trésors d’inventivité pour établir des méthodologies permettant de tester et "révéler" les compétences des chercheurs d’emploi, notamment via des portfolio et des modèles de CV. Si l’on voit ainsi fleurir une myriade de techniques, de l’aveu même des conseillers, la notion de compétence demeure un concept flou : la frontière entre savoir, savoir-faire, compétence, aptitude, connaissance, semble si poreuse que d’aucuns n'y voient que des synonymes.
Dans le cadre de cette communication, nous proposons une analyse des mécanismes par lesquels des notions telles que "compétences transversales" s’imposent dans l’intervention sociale, au travers de leur circulation à travers différents champs (système éducatif, institutions en charge des politiques d’emploi, des politiques sociales, etc.). Nous montrons que de telles notions sont caractérisées à la fois par une déconnexion des réalités pratiques de l’intervention sociale dans leurs conditions d’émergence et par leurs effets dans ces réalités après qu’elles soient devenues des concepts de sens commun. Au travers de la notion de dispositif au sens de Foucault et de légitimation du discours doctrinal analysée par Bourdieu, nous proposons une relecture de ces effets sur les pratiques dans l’intervention sociale visant à dégager les mécanismes par lesquelles les notions s’ancrent « sur le terrain ». Ce faisant, nous interrogeons profondément les liens entre l’évolution des politiques éducatives et celle des politiques sociales, pour montrer les points de convergence de ces évolutions et les reconfigurations qu’elles impliquent dans les rapports entre ces deux domaines des politiques publiques.
Pour procéder à l’analyse, nous nous basons à la fois sur un corpus de transcriptions de focus-groupes menés avec de nombreux acteurs de l’insertion socioprofessionnelle issus de plusieurs types d’organisations dont le périmètre d’action est la région bruxelloise (Belgique), et sur un corpus de publications à vocation politique des instances de l’Union européenne et de ministères et organismes de service public belges. Ces corpus permettent de mettre en évidence les effets de théorie des discours politiques et les mécanismes de remplissage stratégique des dispositifs mis en place : par la mise en tension des témoignages de terrain et des textes politiques, on perçoit à la fois les aménagements permettant l’appropriation par les agents des théories censées définir leur cadre d’action et les processus d’endoctrinement causés par ces théories. Cette approche permet aussi d’appréhender comment et dans quelles limites l’inadéquation ressentie par les agents entre le cadre théorique et les aspects pratiques "du terrain" provoque "l’entrée en résistance" face à l’introduction de nouveaux outils et méthodologies.
En conclusion, nous proposons une discussion de quelques possibles évolutions relatives des politiques éducatives et des politiques sociales tenant compte à la fois des transformations du contexte politique et économique européen et des pratiques – et résistances – du terrain.

Compétence, Insertion, Education tout au long de la vie