Effets en termes de légitimation croisée des savoirs des travailleurs sociaux et de ceux des chercheurs partenaires d'une Recherche Action Collaborative (RAC)
Année : 2013
Thème : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...
Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...
Auteur(s) :
LYET Philippe (France) – philippe.lyet@askoria.eu
LOREAU Fabien (France) – floreau@laposte.net
Résumé :
La communication proposée ici se donne pour objectif d'analyser les effets en termes de légitimation croisée des savoirs des travailleurs sociaux et de ceux des chercheurs partenaires d'une Recherche Action Collaborative (RAC). Celle-ci a consisté à analyser les pratiques de travailleurs sociaux (TS) en protection de l’enfance à partir de films réalisés lors d’interactions professionnels/parents. La compréhension de ces pratiques s'est construite par une discussion entre les savoirs scientifiques des chercheurs et les savoirs d'action des TS.
Le discours scientifique produit par les chercheurs a gagné en légitimité et en crédibilité chez les professionnels du fait de l'analyse et de la théorisation avec les acteurs de terrain. Ces derniers ont pu y voir une forme d’abolition ou d’atténuation de la distance à laquelle ils peuvent parfois placer le travail des chercheurs.
Cette démarche a également produit une autolégitimation des TS dans leurs pratiques, qui les a autorisés à revendiquer une expertise sur leur exercice professionnel et ne les a pas dépouillés dans le même temps de la légitimité de terrain qu'ils avaient en tant qu’acteur. Ce qui fait qu'ils ont peut-être joui, en un sens, d’une « double légitimité » à parler de leur exercice professionnel : celle de leur position d’acteur, importante vis-à-vis des collègues, et celle que leur a amené un savoir construit par la recherche.
La complexité de leur pratique les inscrivait dans des paradoxes qu’ils n’arrivaient pas à résoudre. Ils en tiraient un sentiment de culpabilité. La collaboration avec les trois chercheurs a permis de construire une analyse croisée de leur travail où les points de vue des cliniciens et sociologues et ceux des TS ont été conjugués. Cette analyse a permis de valider la pertinence des actes professionnels étudiés et de montrer les limites des prescriptions. Cela a permis un exercice professionnel différent et a modifié le rapport des professionnels à la prescription publique. Ceux-ci ont « repris la main » face au prescripteurs et ont élaboré une posture plus complexe face à ces prescriptions, alliant analyse et stratégie. De leur côté, les chercheurs ont reconnu la pertinence des savoirs des professionnels et de leur revendications stratégiques.
Les TS ont tiré de cette expérience une analyse que les chercheurs ont validée : ce qui est important et ce qu’il fallait « transmettre », c’était moins les résultats que la démarche. En effet, le cœur du problème initial résidait dans la domination symbolique, sur les TS, des prescripteurs dans l’action ; et des chercheurs dans la recherche. Cette situation dominée produisait une forme d’aliénation qui conduisait les TS à s’autodélégitimer, en tant qu’acteurs capables de penser leurs pratiques. Aussi, penser la diffusion de manière descendante, de « sachants » (les chercheurs et les TS ayant participé à la RAC) à récepteurs du savoir (les autres TS), reproduisait le schéma de la domination symbolique et niait un des enseignements de cette RAC : l’apport irremplaçable dans l’analyse des savoirs d’action. Au contraire, reproduire pour la diffusion des résultats un schéma similaire à celui de la RAC tire les leçons d’une des dimensions les plus importantes de la RAC : le savoir, ici, consiste en la confrontation et la mise en débat des savoirs théoriques et des savoirs d’action et c’est cette « éthique de la discussion » qu’il s’agit de développer.
Cette RAC interroge les dispositifs de formation continue. En plaçant les TS en position d'acteurs de la production du savoir, en reconnaissant la légitimité de leurs savoirs, en développant une démarche inductive, cette RAC a permis selon un participant que « le savoir s’ancre différemment » pour les TS que dans des formations plus « descendantes ». Parce qu'ils étaient légitimés comme producteurs de savoirs, ils ont participé plus activement à cette aventure et ils ont renouvelé plus fortement leurs savoirs que lorsqu'ils sont dans une position d'apprenants.
Mots clés :
Recherche-action, Co-construction, Intelligence collective
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