Des connaissances à transmettre ou des savoir-faire à construire ?
Année : 2013
Thème : Enjeux des enquêtes pratiques pour la professionnalisation
Type : Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...
Auteur(s) :
MEZZENA Sylvie (Suisse) – sylvie.mezzena@hesge.ch
KRAMER Nicolas (Suisse) – nicolas.kramer@hesge.ch
Résumé :
La thématique de la transmission des savoirs questionne la définition de la connaissance et par ricochet celle de l'action. Depuis la philosophie de l’esprit ou du pragmatisme américain, de récents travaux en sciences sociales remettent en question la définition transcendantale de la connaissance depuis une réflexion sur la nature de l'action. Se trouve discutée la définition intellectualiste de la connaissance, pour laquelle la réalité serait le lieu de l'expression de connaissances prédéfinies en amont et du dehors de l’action, faisant de celle-ci leur copie.
Nos travaux, à la suite de de Jonckheere (2010), s'appuient sur certains de ces travaux (Ogien et Quéré, 2005) qui ont bousculé les conceptions de l'action des modèles déterministes et téléologiques en défendant l’idée que le monde n’est pas déjà tout donné et que la réalité se construit depuis nos actions, sans coupure entre pensée et action. Lors de deux recherches sur des terrains de l’éducation spécialisée pour adolescents, nous avons observé comment les professionnels construisent leur savoir-faire dans le vif de l’action, en observant l’activité depuis une approche située (Mezzena, Stroumza et Seferdjeli, à paraître).
La première (Stroumza et al., à paraître) a mis en évidence qu’il n’existe pas une bonne manière de faire qui correspondrait à un savoir « vrai» à convoquer face à telle ou telle problématique des usagers, mais qu’une pluralité de manières de faire cohabitent dans l’action des éducateurs. Dans l’activité les professionnels doivent s’agencer avec une pluralité de forces pour agir (les usagers mais aussi les politiques sociales, les partenaires institutionnels, la hiérarchie, les règles institutionnelles, les familles, mais encore l’espace physique ainsi que les objets et les idées). Selon les situations dans lesquelles ils se trouvent pris et les forces auxquelles ils doivent s’ajuster, nous observons des combinaisons différentes de manières de faire. Avec cette idée aussi que ce ne sont pas les professionnels seuls qui décident de la dynamique des agencements constitutifs de ces manières de faire.
Dans la seconde les apports de la philosophie pragmatiste deweyenne (Mezzena et al., soumis) ont étayé l’idée que l’activité n’est pas le fruit d’une logique applicationniste et se constitue dans un partenariat avec l’environnement et ses « objets » (Mezzena, 2012). Ce dernier contraint les professionnels à enquêter, c’est-à-dire à expérimenter des manières de faire efficaces qui leur permettent de définir pratiquement et processuellement des problèmes au fil de leur mutation pour les résoudre, tout en essayant de tenir la perspective de la mission. Nos résultats soulignent que les connaissances sont utilisées comme des moyens à expérimenter dans l'activité, dont les effets sont à apprécier a posteriori dans le cours de l’action. De plus, les connaissances ne sont pas agissantes seules depuis le professionnel qui réfléchirait pour savoir lesquelles appliquer depuis un travail de mise à distance et d’analyse de son action ; elles sont agissantes aux côtés d'autres ressources de l'environnement et c’est dans l’activité même que se construisent les connaissances des professionnels. Ces résultats s’éloignent d’une conception de la connaissance professionnelle comme des contenus stables et autosuffisants, à connaître en propre hors de tout contexte et à appliquer pour résoudre des problèmes préalablement (et réflexivement) identifiés.
Cette lecture pragmatiste revisite la question de la transmission des savoirs et leur fonction et nous souhaitons interroger ses conséquences pour la formation professionnelle. Il ne s'agirait plus tant de transmettre des connaissances que les novices devraient intégrer, en amont de l’action, pour savoir ultérieurement comment agir dans telle ou telle situation, que de les former à expérimenter en situation des connaissances agencées à d'autres forces et à en apprécier les conséquences pour la poursuite de la mission.
Mots clés :
Connaissances, Savoir-faire, Professionnalisation, Activité
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