Crises, managérialisation et démocratisation
Année : 2010
Thème : L’urgence sociale en mutation
Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...
Auteur(s) :
GARDELLA Edouard (France) – edouardgardella@yahoo.fr
Résumé :
Le secteur de l’hébergement et de l’aide au logement pour les personnes dites « sans domicile fixe » (SDF) en France connaît deux crises depuis le milieu des années 2000 : une crise d’évolution interne, une crise de contrainte externe.
Depuis fin 2006, où a eu lieu un très fort mouvement social, les « Enfants de Don Quichotte », et la promulgation de la loi sur le « Droit au logement opposable » (DALO) en mars 2007, la nouvelle croyance dominante et partagée par la plupart des acteurs du secteur est que l’urgence sociale, qui avait constitué le référentiel de l’action publique d’assistance aux SDF depuis le milieu des années 1980, ne fonctionne plus. La crise de la fin des années 1970, qui avait conduit à prendre des mesures d’urgence dans les années 1980, s’est révélée structurelle, impliquant d’envisager des solutions plus durables (Lipsky, Smith, 1989 ; Damon, 2002). Un symptôme révélateur de ce changement de référentiel est l’interdiction légale de la durée d’hébergement limitée (principe de « non remise à la rue »). Des programmes dits de « logement d’abord », inspirés d’expériences étrangères (en particulier des États-Unis), ainsi que des dispositifs de rationalisation de la distribution des places d’hébergement, sont définis et mis en œuvre depuis la fin de l’année 2009, suite à une large concertation entre dirigeants des grandes associations nationales et représentants des administrations centrales de l’État (affaires sociales et équipement-logement). L’objectif commun est de mettre fin aux solutions de court terme, précaires, instables, largement inspirées par la « raison humanitaire » (Fassin, 2010) et fondées sur une sanitarisation du problème social du sans-abrisme. Les acteurs de l’assistance aux SDF sont en train de modifier l’horizon temporel de l’action publique, entraînant des conséquences organisationnelles importantes. La crise des « Enfants de Don Quichotte » a eu un impact direct sur la gouvernance de l’urgence sociale, l’orientant vers des solutions durables.
Cette « refondation » est orchestrée par le « Chantier national prioritaire », instance qui a émergé en avril 2008, à la demande des associations de l’hébergement et du logement. Nouvel organe administratif, il se situe à l’intersection des intérêts associatifs et des logiques des administrations étatiques. Il est un site d’observation privilégié pour saisir les processus à l’œuvre dans la conception de l’action publique au niveau central, en particulier lorsque des enjeux budgétaires (maîtrisés par le ministère des Finances) viennent contraindre l’ampleur d’une réforme imaginée au moment où la banqueroute de l’État grec, en mai 2010, est venue rappeler les divers membres de l’Union européenne à leur engagement de contrôle des déficits. La construction d’un système informatique et d’indicateurs de performance, pour évaluer l’efficience des nouveaux dispositifs, s’affirme d’autant plus comme une priorité des acteurs de l’État. En même temps, cet organe est aussi une scène où se forment de nouveaux acteurs : les représentants des professionnels de l’urgence sociale et des usagers SDF. La nouvelle gouvernance ouvre sur une ambivalence : des processus croisés de « managérialisation » et de démocratisation de l’action publique (Ogien, 2010).
C’est donc l’étude d’un changement de politique publique, issu d’une crise dans l’urgence sociale et inscrit dans un contexte structurel de crise budgétaire et d’injonction à la maîtrise des dépenses, qui permettrait de voir comment s’articulent des enjeux aussi centraux de l’action publique que la participation, l’injonction à l’efficience et la durabilité des solutions envisagées. Cette proposition est issue d’une enquête ethnographique réalisée au sein de ce «Chantier national prioritaire » pendant trois mois (stage effectué entre mars et juillet 2010), ainsi que d’entretiens réalisés avec les divers acteurs étatiques et associatifs engagés.
Mots clés :
Urgence sociale, Management social, Participation
← Retour à la liste des articles