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Où en sommes nous à propos des matrices construisants nos savoirs ?

Année : 2013

Thème : Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...

Type : Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...

Auteur(s) :

EDME Stéphane (France) – edme.stephane@ireis.org

Résumé :

Il est parfois surprenant de voir comment certains étudiants lorsqu’ils s’engagent dans leur mémoire sont tentés d’abandonner leur première idée, pour mieux revenir à cette réflexion ou à cette intuition quelques semaines ou quelques mois plus tard. Force est souvent de constater qu’ils se sont le plus souvent méfiés de leur première accroche dans la mesure où celle-ci prenait racine au sein de leurs émotions. Les travaux menés par Antonio Damasio nous révèlent l’importance des émotions dans les processus de décisions, de cognition et de sélection des savoirs, de sorte que « La capacité d’exprimer et de ressentir les émotions fait partie des rouages de la raison pour le meilleur et pour le pire »1. Mais si la place fondamentale accordée aux émotions n’a rien de nouveau pour le praticien ce premier constat en appelle cependant d’autres et viens ainsi bousculer sinon bouleverser la manière d’accueillir les savoirs pour le travailleur social. Une matrice nouvelle à ce qui fait savoirs, plus élaborée, plus intriquée, plus métissée de champs disciplinaires serait donc en questionnement aujourd’hui dans l’action sociale.
Certaines interventions destinées à transmettre des savoirs théoriques peuvent aussi susciter des réactions plurielles de la part de futurs travailleurs sociaux. La présentation de cette matrice articulée par exemple autour de concepts psycho-socio-économiques2 peut être alors adoubée, ignorée voire rejetée. Pour certains, de tels savoirs peuvent devenir des leviers à l’action : pour d’autres ils sont perçus comme source de stérilisation de la pensée et donc en finitude de l’action sociale : des savoirs qui traversent le travailleur social sans rien apporter d’immédiat à l’action. Le savoir peut donc susciter une réaction dubitative, d’interrogation, de doute fort légitime pour les petits enfants que nous sommes de Descartes. Néanmoins - face au manque de repères et confrontée à l’incertitude qui caractérise aujourd’hui le contexte socio-économique du travailleur social - la tentation est alors forte de construire son action à partir d’une succession de témoignages et d’exemples destinés à faire sens de part leurs simple existence. Le travailleur social est alors poussé à évaluer sa pratique à partir de critères de plus en plus précis et techniques, alors que son objet est dans son essence étranger à une dimension quantitative. Les savoirs de référence mobilisés ici ne facilitent pas l’explicitation et la compréhension du sens de l’intervention sociale, mais permettent plutôt de comprendre comment celle-ci peut – dans une certaine mesure - se déployer.
A l’opposée la ressource spirituelle généralement héritée de notre éducation judéo-chrétienne peut être le prisme par lequel les savoirs sont entendus et appréhendés. Ancrée au tréfonds de la relation d’aide, l’obédience religieuse constitue effectivement ici la référence qui guide la pratique du travailleur social, une référence qui, si elle représente encore aujourd’hui l’identité de près d’un tiers des structures sociales, constitue la focale par laquelle se structure et s’ordonne les modalités d’accueil des savoirs. Une autre matrice qui ne s’exprime certes plus au travers une pratique religieuse mais par le biais d’une aptitude à faire vivre les savoirs à la lumière du texte. En souterrain à sa posture comme à sa pratique cette exégèse sociale agit sur le processus de sélection, d’appropriation et de mise en pratique des savoirs.
La littérature ne manque pas de témoigner de questionnements relatifs aux modalités de ce qui fait savoir chez les travailleurs sociaux. C’est - pour ne citer qu’un exemple - ce que souligne M. Bauvet à propos de la notion d’accompagnement qui est un concept d’usage courant chez les travailleurs sociaux : « Croire dans les vertus de l’accompagnement c’est aussi partager un certains nombre de croyances sur le réel, c’est adhérer à un certain nombre de postulats idéologiques et philosophiques concernant notre rapport au monde et à la connaissance de ce monde »3.
Partant donc de constats de terrain sur la manière, la posture, les réactions avec lesquelles les étudiants accueillent les savoirs, nous souhaiterions mettre à la discussion l’idée que nos soubassements idéologiques, philosophiques, et aussi spirituels conditionnement notre disposition à accueillir, à accepter voire à nous approprier de nouveaux savoirs. De manière plus individuelle, il s’agirait de s’interroger à propos des leviers, des valeurs, des fondements personnels et partagés qui nous animent lorsque nous nous mettons en situation d’apprentissage. Notre questionnement s’attachera donc à mettre au travail les ressorts, les références culturelles, idéologiques et spirituelles assemblées dans un corpus de pensée plus ou moins homogène par les membres d’une même communauté4. Matrice qui fait l’identité et la spécificité du travail social - le plus souvent inconsciemment car fortement ancrés en nous - lorsque nous entrons en situation d’apprentissage et donc d’accueillir des savoirs susceptibles de nous mettre en action.

Mots clés :

Savoirs, Complexité, Épistémologie, Matrice

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