Le travailleur social face aux "exclus des statistiques" : triple disjonction et recomposition des modes d'intervention sociale

Année : 2014

Thème : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...

Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...

Auteur(s) :

MAES Renaud (Belgique) – rmaes@ulb.ac.be
SYLIN Michel (Belgique) – msylin@ulb.ac.be

Résumé :

Chaque année, des personnes sont exclues des chiffres officiels de l'emploi et de l'aide sociale, vu qu'elles disparaissent des bases de données des institutions suite à la suppression de leur droit au chômage et à l'aide sociale. Cette disparition correspond à l'entrée dans un régime de clandestinité qui existe comme réalité parallèle des "marchés officiels" du travail, du logement, ... les "exclus" développant des ressources spécifiques permettant la survie.
Nos travaux sur la Région de Bruxelles (Belgique) mettent en évidence l'existence de "réseaux de débrouille" qui s'organisent autour de squats et rendent possible cette survie. Y accéder signifie cependant une "affiliation" éloignant les exclus des normes "en vigueur" dans les institutions publiquues et rendant un "retour" vers elles peu probable. Or, dans le souci de réguler le développement des squats (voire de le freiner net), les autorités communales bruxelloises ont pris comme habitude d'y envoyer des travailleurs sociaux chargés de "réintégrer" les squatteurs - et donc de nombreux exclus de l'aide sociale - dans les systèmes d'aides publiques officielles.
Les travailleurs sociaux des institutions comme les CPAS belges sont confrontés à la triple disjonction du travail social (TDTS) (Maes & Sylin, 2014) : à la disjonction classique entre les attentes du travailleur social et les comportements des usagers s’ajoutent la disjonction causée par l’injonction à "l’activation" déconnectée des conditions de sa praticabilité et l’injonction à "l’accompagnement émancipateur". Cette triple disjonction se marque à trois "niveaux" : les missions (marquées par des concepts oxymoriques), les moyens d'actions (et leur adéquation aux objectifs) et la relation interindividuelle entre travailleur social et "usager". Elle pousse les travailleurs sociaux dans une situation de "porte-à-faux institutionnel", qui provoque à la fois des "crises" profondes de leur identité professionnelle et une augmentation de leur mal-être (Maes, 2013).
La triple disjonction se marque-t-elle dans le cas du travail autour des "exclus des statistiques" ? Comment influe-t-elle sur le positionnement du travailleur social face à ce public spécifique ? Afin de répondre à ces questions, nous proposons ici l'analyse de témoignages de travailleurs sociaux de CPAS et de "squatteurs", recueillis dans le cadre de travaux sur les "exclus et marginaux" en Région bruxelloise.
La 1ère partie de la communication détaille le contexte de l'étude ; la 2ème, la méthodologie, la 3ème partie permet de dégager les enseignements majeurs quant au modèle TDTS.
L'analyse révèle que le "porte-à-faux institutionnel" est particulièrement fort dans le cas étudié : les travailleurs sociaux identifient un "double jeu" des institutions, au niveau des missions, des moyens accordés et de l'échelle d'intervention. Les travailleurs sociaux "mis en tension" adoptent une attitude ambivalente envers les modes alternatifs d'existence, développant un discours de légitimation (par exemple, de la "récupération" de métaux ou des activités prostitutionnelles de certains exclus). Ils optent de plus pour des modalités d'intervention sociale qui procèdent d'une "optimisation stratégique" vis-à-vis des procédures institutionnelles, ignorant des éléments qu'ils qualifient de "détails" mais qui fondent pourtant la décision prise antérieurement de mettre fin à l'aide du CPAS. D'une posture de "chargé de mission" qui domine les premiers temps de l'intervention, ils en viennent à une posture de "médiateurs" vis-à-vis de l'institution. Ce changement de positionnement se construit en interaction avec les exclus, dont la position initiale de rejet évolue vers une forme de reconnaissance.
En conclusion, nous dégageons quelques défis posés pour le travailleur social par l'intervention sociale dans un squat d'exclus, et mettons en évidence la construction interactive des mécanismes par lesquels les travailleurs sociaux se réapproprient le sens de leur action.

Mots clés :

Institution, Intervention sociale et travail social, Zone urbaine

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