Mobiliser dans la lutte à la pauvreté : un exemple local au Québec
Année : 2014
Thème : Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...
Type : Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...
Auteur(s) :
TREMBLAY Pierre-André (Canada) – pierre-andre.tremblay@uqac.ca
ALONSO Miriam (Canada) – miriam_alonso@uqac.ca
Résumé :
Au Québec, la lutte contre la pauvreté repose en grande partie sur le dynamisme des organismes communautaires et de leurs partenariats avec l'État. Cela induit des dynamiques complexes entre les politiques publiques, les efforts de ces organisations pour accéder aux ressources qui s’y trouvent et la volonté, de conserver une certaine autonomie à la « société civile ». Illustrant ces enjeux, cette communication présente le processus qui a conduit à la création d'une épicerie communautaire dans la ville de Jonquière (Québec). La mission de cette organisation est de fournir des aliments de qualité à un prix abordable pour une population pauvre et marginalisée. Ce projet illustre les interactions entre les populations locales, les organisations communautaires et institutionnelles ainsi que les politiques sociales provinciales qui sont caractéristiques de la situation actuelle de la société québécoise.
La mise en place de cette épicerie est le résultat d'efforts entrepris depuis longtemps pour lutter contre la pauvreté et l'insécurité alimentaire (Alonso et al 1998; Tremblay 2010). Ces efforts ont abouti à de nombreux projets fondés sur des partenariats entre les organismes communautaires, les institutions publiques et parapubliques qui visent à réduire l'impact de la pauvreté, promouvoir le développement local et d'accroître la participation des personnes en situation de pauvreté.
Le projet d’épicerie communautaire a bénéficié d’un large consensus de la part de l’ensemble des acteurs. Il a aussi été favorisé par la présence de programmes publics et de l’expertise présente dans le milieu. Les finalités différentes de ces divers programmes et les contraintes de ces nombreux acteurs ont modelé différemment les intentions qui étaient à l’origine de la démarche. Peu à peu, le projet est devenu une occasion d’obtenir un financement pouvant servir les finalités d’une des organisations porteuses plus qu’un outil visant d’abord l’inclusion sociale et la lutte contre la pauvreté.
L’évolution de ce projet montre la présence de logiques qui structurent le monde de l’économie sociale. La logique « communautaire » est basée sur la gratuité des services, mais elle induit une dépendance relative face aux programmes étatiques. La logique « entrepreneuriale » est plus ouverte à une certaine marchandisation des activités qui s’éloigne des pratiques habituelles des organismes communautaires québécois, mais qui a l’avantage de permettre une certaine autonomie organisationnelle et financière. Ces deux logiques structurent le monde de l’économie sociale et solidaire québécoise et s’incarnent généralement dans des organisations différentes ; cependant, le projet d’épicerie communautaire montre qu’elles peuvent cohabiter pendant la phase de gestation du projet, ce qui en fait un cas, sinon représentatif, du moins exemplaire.
La mobilisation collective contre la pauvreté nécessite un degré élevé de convergence entre les intérêts et les pratiques des participants, d'une part, et les objectifs de réalisation du bien commun inhérents au projet, de l'autre. Une telle convergence ne peut être tenue pour acquise. Cette communication montre plutôt que la logique typique des organisations communautaires (fournir de la nourriture à un prix accessible aux personnes en situation de pauvreté), souvent instrumentalisée par l’État québécois, ne doit pas être confondue avec les efforts de ce même Etat promouvant une approche entrepreneuriale s’articulant à des politiques marquées par le néo-libéralisme. De façon plus large, ce projet montre que l’émergence des innovations sociales visant à lutter contre la pauvreté n’est pas le produit de mécanismes aveugles, mais impliquent des enjeux et des choix stratégiques dont les conséquences ne sont pas toujours claires pour les acteurs.
Ces réflexions sont basées sur trois années de participation active à ce projet et un suivi quotidien des efforts de lutte contre la pauvreté à Jonquière.
Mots clés :
Pauvreté, Action communautaire, Tiers secteur
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