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Politiques de la vulnérabilité. La protection judiciaire d’adultes

Année : 2014

Thème : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...

Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...

Auteur(s) :

Scutenelle Alain (Belgique) – alainscutenelle@gmail.com

Résumé :

L’objectif de la recherche dont nous proposons de rendre compte est d’apporter, en l’inscrivant dans un questionnement plus large sur la vulnérabilité et sa prise en charge, un éclairage sociologique au dispositif judiciaire qui organise la protection des adultes jugés incapables de gérer seuls leurs revenus et leurs avoirs en raison de troubles liés au vieillissement, à la maladie mentale, au handicap ou encore à une extrême vulnérabilité sociale. La fortune de la notion de vulnérabilité dans l’élaboration des politiques publiques semble ouvrir celles-ci à un régime d’attention et de soutien à un usager toujours en tension entre vulnérabilité et autonomie (Genard, 2007). Il s’agirait de restituer « à chacun des capacités lui permettant d'assumer son autonomie » (Ibid.). Cette approche, néanmoins, occulte la dimension collective des situations sociales problématiques (Castel, 2012), accentue l’injonction contemporaine à la responsabilité de soi (Soulet, 2005) et inverse le sens de la dette sociale (Bernheim et Commaille, 2012).
La protection judiciaire des adultes vulnérables s’inscrit résolument dans la dynamique sociale qui vient d’être évoquée. En Belgique comme dans d’autres pays européens, l’évolution législative place la personne, son autonomie et sa participation au centre du dispositif de protection. La mise en œuvre de ces dispositions, a priori favorables à une prise en compte des singularités individuelles et à la protection des capacités résiduelles de la personne à protéger, s’avère cependant problématique.
D’une part, la proportionnalité de la protection se heurte aux impératifs d’efficience. D’autre part, l’entrée dans le dispositif judiciaire s’accompagne d’une assignation stigmatique dont notre communication détaille les effets : étiquetage, perte de statut, discrimination, distance sociale et asymétries de pouvoir.
Notre enquête montre que la mesure, réservée selon le texte légal aux individus incapables de gérer leurs biens en raison de leur état de santé (troubles du grand âge, maladie mentale, handicap), connaît une extension aux situations d'endettement de personnes en grande vulnérabilité sociale. Lorsque la guidance budgétaire, la médiation ou le règlement collectif de dettes échouent, il est fait appel à la mise sous tutelle judiciaire du débiteur. Dans ce contexte, le dispositif peut être regardé comme un mécanisme de socialisation post-disciplinaire : nous sommes libres, à condition d’adopter le mode de vie qui permette de rembourser (Lazzarato, 2011). Les seuls concepts théoriques de domination ou d’assujettissement nous paraissent toutefois impropres à rendre compte de l’ambivalence de sentiments où frustration et de révolte côtoient soulagement et besoin de protection.
La vulnérabilité, selon Ricoeur (2004), transforme l’autonomie en horizon de la pratique démocratique. Dans cette perspective, la référence à une conception idéalisée de l’autonomie, comme capacité à agir seul, décider seul, juger seul, s’avérerait tout aussi réductrice. L’autonomie, relève Eyraud (2012), « ne se construit pas de manière absolue, mais par degrés ». Elle relève, dans une conception externaliste, de conditions qui la rendent possible : ressources matérielles, appuis trouvés dans la relation à l’autre, accès au droit et aux prestations sociales… Au-delà de la seule hypothèse du contrôle social, ce sont bien les modalités du travail sur, pour et avec autrui qu’interroge notre communication.

Mots clés :

Traitement social, Usager, Solidarité, Incapacités

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