Vers une extension du domaine de la précarité

Année : 2014

Thème : vulnérables et/ou précaires, quels débats, quels enjeux?

Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...

Auteur(s) :

PENY Bernard (France) – peny.bernard@ireis.org

Résumé :

Pour décrire les conditions d’existence des individus dans les sociétés « développées » du XXIème siècle, marquées par un régime de crises permanentes et de tous niveaux (de l’écologie planétaire à l’identité la plus privée), deux notions ont connu et connaissent un fort succès, proportionnel à leur polysémie et leurs ambiguïtés. Deux ouvrages publiés en France tout récemment tentent d’éclairer chacune d’entre elles : « Vulnérabilités sanitaires et sociales », d’Axelle Brodiez Dolino et Bertrand Ravon (et al), paru en mai dernier, et six mois plus tard en novembre, « Révolutions précaires » par Patrick Cingolini.

Vulnérables et/ou précaires, tels semblent (se) vivre tant les personnes que leurs institutions ou leurs communautés, dans ces nouveaux mondes exposés aux risques multiples, sans avenir de progrès ni garanti ni même crédible. Vulnérables parce que précaires, précaires parce que vulnérables, les deux qualificatifs semblent interchangeables. Pourtant il convient de les affiner, et, qui sait, de les distinguer.

Tout d’abord, même si leur étymologie (qui peut être blessé, ou qui s’obtient par la prière) évoque pour chacun des termes une logique de domination, notons que, dans un usage premier l’un désigne une personne, voire un groupe de personnes, quand l’autre qualifie plutôt des objets (un bail précaire). Mais tous deux ont connu de nombreuses extensions d’usage qui en font des descripteurs de l’ensemble des niveaux de réalités humaines : on parlera aussi bien aujourd’hui d’économies vulnérables que de personnes précaires.

Là est un point essentiel : à ce jour, ces deux notions sont susceptibles d’être mobilisées pour mettre à jour justement ce qui se joue de l’articulation renouvelée entre questions existentielles et sociales, entre l’expérience de chacun et l’environnement commun, entre les récits singuliers et les épopées collectives. C’est sans doute ce besoin impérieux du moment, joindre les histoires de chacun à celles de tous, qui permet de comprendre le succès de chacun de ces termes, et l’empressement actuel de nombreux chercheurs d’en faire des concepts de leur discipline, sociologie, histoire, anthropologie, économie, etc.

Mais, comme le rappellent fort justement B. Ravon et C. Laval dans une contribution à l’ouvrage collectif, ce qui constitue un problème public, ou une question sociale, ce n’est pas seulement que des gens soient confrontés à des difficultés (en ce qui nous intéresse, les difficultés des précaires ou des vulnérables sont décrites pareillement) et que eux, ou d’autres pour eux, le fassent savoir, mais qu’on puisse identifier qui est la cause de ces difficultés, et qui pilotera l’action pour les résoudre ou les réduire. Considérant cela, il apparaît rapidement, à la lecture des deux ouvrages que vulnérabilité et précarité ne renvoient pas à deux « réalités d’expérience » distinctes mais ne sont que deux configurations différentes, complémentaires ou concurrentes, d’un même problème public.

Pour faire court, ce qui différencie principalement ces deux configurations, c’est la perspective d’action que chacune imagine et promeut, comme réponse au même diagnostic, le besoin de chacun de construire ou reconstruire une identité narrative capable de situer « d’où on parle » aux autres, d’inscrire son présent difficile et singulier dans une communauté biographique. Du côté de la « question de la vulnérabilité », on s’efforcera d’agir, comme dit B. Ravon, en « position basse », au plus près de chaque personne pour lui permettre de retrouver le sens de son histoire, et, peut-être, un projet ; en revanche, du côté de la « question de la précarité », il s’agira, selon Cingolani, de reconstruire la voie d’une émancipation collective, qu’émerge la conscience d’un précariat, à côté ou à la place du salariat dominant.

Entre clinique et politique de la précarité (ou de la vulnérabilité), quel chemin pour l'intervenant social, quelles modalités d'intervention et quelle formation?

Mots clés :

Politique publique, Traitement social, Intelligence collective

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