Enjeux de régulation du partage de l'espace public avec des populations précaires

Année : 2015

Thème : Quelle légitimation de l'interdiction de la mendicité à Genève ? Analyse des représentations des députés du Grand Conseil

Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...

Auteur(s) :

REYNAUD CAROLINE (Suisse) – caroline.reynaud@hefr.ch
COLOMBO Annamaria (Suisse) – annamaria.colombo@hefr.ch
De Coulon Giada (Suisse)

Résumé :

En 2007, la nécessité et la légitimité d’interdire la mendicité est débattue au Grand Conseil genevois. Les débats aboutiront à une mise en application de l’interdiction dès janvier 2008, sous peine d’amende, et avec la possibilité pour la police de saisir directement les montants pour les personnes qui pourraient s’y soustraire. Cette interdiction peut être considérée comme une stratégie de régulation du partage de l’espace public avec les populations en situation de précarité qui l’occupent Plusieurs auteurs montrent que dans un contexte de globalisation, l’appropriation de l’espace par des personnes marginalisées est perçue comme un obstacle au développement des centres villes, qui doivent vendre leur image à travers le « city branding » (Rosemberg 2000; Mager, Matthey 2010). Un certain nombre de recherches révèlent un recours accru à des dispositifs socio-spatiaux et à des pratiques de judiciarisation pour évacuer, expulser ou disperser les populations marginalisées vivant dans les espaces publics et semi-publics (Doherty et al., 2008). L’altération des liens sociaux va jusqu’à une volonté d’invisibiliser des situations de précarité perçues comme néfastes à l’image de l’espace public.

Dans une recherche menée entre juin 2013 et juin 2014 , nous avons mis à jour les représentations qui ont été à la base de la transformation du phénomène de la mendicité en un problème sociopolitique et qui ont favorisé la légitimation de son interdiction au niveau politique. La démarche méthodologique a croisé l’analyse des discours des députés du Grand Conseil et des personnes qui continuent à pratiquer la mendicité. Elle vise à souligner la fonction justificative des représentations sociales qui légitiment des modes d’intervention (Doise et Palmonari, 1989) et leur importance dans la constitution des rapports à l’altérité et de transformation du monde social (Jodelet, 1989). Le référentiel théorique développé repose sur les trois registres d’analyse de situations pratiques (théorique, idéologique et subjectif) de Karsz (2004), et les trois types de repères normatifs correspondant (cognitif, éthique, politique) développés par Parazelli (2013).

Pour cette contribution, nous proposons de centrer notre discussion sur l’analyse des représentations des acteurs politiques, qui permet de détacher, au-delà des affiliations partisanes, trois types de discours (populiste, humaniste et légaliste). Cette compréhension suggère que l’interdiction de la mendicité a davantage visé à répondre à un problème configuré autour de l’usage accru de l’espace public par la communauté dite Rom, qu’autour de la mendicité en tant que telle. Un amalgame présent dans ces représentations et discours autour de la mendicité, la criminalité, les incivilités et la communauté désignée de « Rom », mentionné de manière explicite ou implicite, est au cœur des positionnements d’une majorité des acteurs. Cette analyse met en lumière comment des représentations fondées sur une catégorisation normative de ces populations marginalisées participent à différencier leur traitement. Une distinction est faite entre des formes de mendicité perçues comme légitimes et donc tolérables, par opposition à des pratiques définies comme scandaleuses.

Ces résultats questionnent les principes de démocratie, de justice sociale et de solidarité qui fondent le travail social, qui est directement concerné par la régulation de la présence de ces populations précaires dans l’espace public. Ils peuvent ainsi constituer des pistes pour mieux comprendre les logiques qui sous-tendent la régulation de la cohabitation urbaine avec ces populations et pour penser le rôle de l’intervention sociale dans ce contexte.

Mots clés :

Lien social, Analyse de discours, Justice sociale, Mendicité

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