Les apports spécifiques du travail social de proximité aux jeunes en situation précaire

Année : 2015

Thème : Modélisation d’un « monde alternatif de l’insertion »

Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...

Auteur(s) :

WICHT Laurent (Suisse) – laurent.wicht@hesge.ch
PERADOTTO julie (Suisse)

Résumé :

A partir de trois recherches-action, cette contribution propose de montrer comment dans le canton de Genève un réseau de structures de travail social oeuvrant dans le champ de l'insertion des jeunes « décrocheurs » développe un modèle d'action alternatif au modèle dominant de « l'activation ».

Traiter de la question de l'insertion à Genève pourrait sembler paradoxal, cependant la bonne santé économique locale profite avant tout aux individus hautement qualifiés et fait peser une lourde pression sur les jeunes qui doivent être en mesure de mobiliser à la fois un capital scolaire élevé et un « capital social » attendu sur le marché de l’emploi (Boltanski & Chiapello, 1999). Les jeunes ne bénéficiant pas de ces supports restent en marge de l'emploi, mais aussi du dispositif d'orientation et d'insertion qui présente toutes les caractéristiques des politiques publiques d’activation.

Les modes d’intervention, reliés aux politiques publiques d’activation, ont fait l’objet d’une abondante littérature qui décrit le passage d’une action publique basée sur un modèle assistantiel, «le travail sur autrui» à un modèle de travail d’accompagnement individualisé, le travail «avec autrui» afin d’activer ses ressources (Astier, 2005 ; Hamzaoui, 2005). Cette même littérature critique vertement ce modèle qui, selon les auteurs, exacerbe la responsabilité individuelle (Bonvin & Farvaque, 2007), enjoint les usagers précarisés à développer des projets individuels (Castel, 2009), conditionne l’accès aux prestations sociales, et réduit le temps et les moyens de la prise en charge, notamment sur la base du principe de subsidiarité (Tabin, 2002).

Les acteurs des structures genevoises de travail social reprennent ces critiques du modèle d'activation à leur compte, peut-être sans le savoir ou le dire explicitement, en développant leur propre réseau de prise en charge et de prise en considération des jeunes décrocheurs. Ce réseau est constitué de travailleurs sociaux de rue (TSHM), d'animateurs socioculturels, de travailleurs sociaux employés par les municipalités, mais aussi de micro-entreprises, et de services municipaux d'accord d'accompagner les jeunes décrocheurs.

Notre contribution s'attachera dès lors à montrer que ce réseau tend à constituer un « monde de l'insertion » (Dubar, 2001) alternatif au paradigme de l'activation tant sur le plan :

- des valeurs partagées entre les acteurs : La notion d'éducation est remise au centre de l'action à l'endroit de jeunes dépourvus de supports et de ressources. Cette perspective renverse ainsi le principe même de l'activation en postulant que l'apprentissage et l'expérience doivent précéder l’exercice de l’autonomie individuelle au cours de la transition juvénile (Breviglieri, 2008)

- des modes de mises en oeuvre de l'accompagnement individuel : La relation avec les jeunes usagers est envisagée sur le principe de libre adhésion et elle se développe en s’appuyant sur la relation de confiance établie (Wicht et Peradotto, 2012) et la non-normativité (Maillard, 2014). Dans leurs pratiques d’accompagnement, ces travailleurs sociaux mettent en avant l’individuation des réponses données par l’exercice du « sur mesure ». Ils revendiquent alors un mode d’intervention artisanal, de par sa dimension singulière, créative et incertaine.

- des modes de coopération entre les acteurs du réseau : Les organigrammes préétablis et les parcours linéaires que les jeunes en insertion sont appelés à suivre sont remis en cause au profit de modes coopérations personnalisés entre les acteurs, basés sur établissement de relations de confiance durables.

Enfin, nous tenterons de nous interroger sur le type de reconnaissance que doit attendre le travail social du monde politique et institutionnel face à cette alternative proposée dans le champ de l’insertion pour des jeunes ne disposant pas d’un capital scolaire solide et pas en mesure d’être immédiatement « entrepreneurs d’eux-mêmes ».

Mots clés :

Action alternative, Activation sociale, Intervention sociale et travail social, Axe 2 de la thématique

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