Le statut juridique : un facteur de précarisation des étrangers ?

Année : 2015

Thème : Les exemples des étudiants étrangers et des personnes admises provisoirement en Suisse romande

Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...

Auteur(s) :

BOLZMAN Claudio (Suisse) – Claudio.Bolzman@hesge.ch

Résumé :

Même si à l’ère de la globalisation, le nombre de migrants internationaux tend à augmenter, dans un monde organisé en Etats, traverser une frontière étatique pour vivre ailleurs n’est pas un acte anodin (Sayad, 1991. Il faut en fournir les raisons légitimes pour l’Etat de destination qui les jugera selon ses propres constructions catégorielles. Ce que dans un contexte national serait considéré le plus souvent comme banal, dans ce cadre-là nécessite des preuves solides, des garanties pour montrer que l’on n’est pas dans la transgression de la norme de la sédentarité étatique. Chaque Etat distingue ainsi au sein de la population définie comme étrangère les catégories admissibles à séjourner sur son territoire et celles qui ne doivent pas être admises. Parmi les catégories admissibles, il définit les conditions nécessaires à cette admission à travers le droit des étrangers (Bolzman et Golebiowska, 2012).
Nous tenterons de montrer, en nous inscrivant dans la logique de l’axe1 sur la genèse des précarisations, que ces constructions étatiques précarisent les vies d’une partie des migrants du fait de leur définition comme « étrangers » à la citoyenneté restreinte. En fait, les Etats produisent des formes de précarité juridique qui peuvent conduire à renforcer d’autres formes de précarité (sociale, économique, sanitaire, etc.),
Deux études de cas menés en Suisse et ayant de recours à des méthodes mixtes de recherche (analyse secondaire de statistiques officielles, entretiens semi-directifs avec des migrants, avec des professionnels du social et des fonctionnaires de l’immigration) permettent de tester l’hypothèse avancée ici d’un cumul de précarités. La première porte sur des étudiants africains et latino-américains venus faire leur formation supérieure dans ce pays, la seconde concerne les personnes admises provisoirement dans le cadre de la procédure d’asile en Suisse.
Dans ce deux cas, le droit des étrangers apparaît comme paradoxal: il rend possible la présence de ces populations sur le territoire suisse et en même temps il la fragilise, en limitant la marge de manœuvre des migrants, leur liberté d’action. Il permet par exemple la réalisation d’une activité (études par exemple), mais en même temps il la rend obligatoire. La cessation ou la transformation de l’activité risque de mettre un point final au séjour. Les migrants sont donc précarisés du fait de leur statut considéré comme provisoire et conditionnel. Ceci correspond bien en effet à la définition qui donne Langevin (1997) de la précarité. Selon lui, « la précarité c’est le propre de ce qui s’exerce grâce à une autorisation révocable et dont l’avenir et la durée ne sont pas assurés ». Selon cet auteur, les formes d’instabilité de la précarité sont imposées, dans les cas analysés ici, par la régulation étatique elle-même (Fibbi, Bolzman, Vial, 1999).
Alors qu’a première vue des migrants partagent certaines caractéristiques communes de précarité avec certains secteurs de la population «nationale», telles que des emplois instables, un revenu irrégulier et/ou limité, des liens sociaux fragiles, etc., autrement dit une perte de contrôle sur leur trajectoire professionnelle et sociale (Paugam, 2000), ils se distinguent de celle-ci par les contraintes structurelles qu’ils endurent. Ainsi par exemple, en tant qu’étrangers ils ne peuvent toujours accéder à certains types d’emplois, même s’ils sont les qualifications nécessaires ; ils ne peuvent non plus, en principe, passer d’un domaine d’activités à un autre (par exemple des études au travail) sans autre. Tant que le migrant est considéré comme un étranger du point de vue juridique, il se trouve donc en situation précaire et cette précarité juridique peut conduire à renforcer d’autres formes de précarité, dans la mesure où sa marge de manœuvre pour utiliser ses ressources est restreinte par la législation.

Mots clés :

Citoyenneté, Politique publique, Pauvreté, Migrations, précarité

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