Les travailleurs de la honte
Année : 2015
Thème : Les malades mentaux du PIB
Type : Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...
Auteur(s) :
DORVIL Henri (Canada) – dorvil.henri@uqam.ca
Résumé :
Dans tous les pays, les soldats revenus de guerre sont décorés et jouissent d'une reconnaissance publique. Les mutilés, les estropiés oui, mais pas les blessés nerveux. Tous ceux qui ont été traumatisés par le spectacle quotidien de l’horreur de la guerre, il fallait les cacher, parce qu’ils renvoyaient une autre image du front (Tison, Guillemain, 2013). L’histoire des peuples les appelle « les soldats de la honte ». Ils sont des antihéros qui ne méritent pas la pension d’invalidité qu’ils réclament ( Le Naour, 2011). Cette épreuve de l’épouvante qu’est le champ de bataille a des airs de ressemblance avec certains milieux de travail actuels. La guerre peut rendre fou, le milieu de travail aussi. Ces travailleurs de la honte, nous les appelons dans cette communication les malades mentaux du PIB.
La précarité réfère « aux incertitudes et aux aléas qui pèsent sur les individus au-delà de leurs ressources du moment » (Guichard, Potvin, 2010). La précarité renvoie aux notions d’instabilité, d’insécurité et de fragilité des situations de vie. Les individus en situation de précarité ne bénéficient pas des ressources leur permettant d’assumer leurs responsabilités élémentaires ou de jouir de leurs droits fondamentaux. Les travailleurs vivant avec un trouble mental sont en situation de précarité, ils risquent de perdre leur emploi et basculer dans la pauvreté. Actuellement, il existe beaucoup de travailleurs ne pouvant pas subir le stress constant associé à leur emploi. Ils souffrent de troublent anxieux, de burn-out et s’absentent de leur travail. Assez souvent, ce sont même des professionnels, des soignants, des techniciens, divers corps de métier confondus, de 35 ans et plus qui ont traversé avec succès plusieurs épreuves de la vie, qui n’ont jamais imaginé un jour d’être traités de « fous » et qui appréhendent tout d’un coup une carrière brisée. Ils perdent la face aux yeux de leurs collègues, deviennent la risée de tous.
Selon Santé Canada, sur 1000 travailleurs, une vingtaine vivra un arrêt de travail pour un problème de santé mentale. La durée moyenne des interruptions est de 65 jours. En plus des absences, la dépression entraîne le présentéisme. Souvent les employés pensent que la dépression va passer comme un mauvais rhume. Ils ont peur d’être mal perçus dans l’entreprise, c’est pourquoi trois individus sur quatre n’iront pas consulter un médecin (Journal des Affaires, 3 août 2011). La stigmatisation que vivent les travailleurs s'étant absenté en raison d’un trouble mental courant s’exprime, selon nos résultats, sous le sceau d’un double discrédit : A moral c’est-à-dire des individus considérés comme des simulateurs prêts à feindre un problème de santé mentale pour bénéficier d’un temps de répit payé, B capacitaire, c’est-à-dire le travailleur dans une situation de disqualification professionnelle au nom, bien souvent, de sa soit-disant « nouvelle » vulnérabilité psychologique menant au tablettage, au déclassement professionnel, à la retraite anticipée. Ce qui pose d’emblée le problème de la qualité de vie et de la santé psychologique des travailleurs de retour au travail.
Cette communication présente les résultats d’une recherche intitulée « La stigmatisation des personnes aux prises avec des troubles mentaux dans les domaines du logement, de l’emploi et des médias de masse ». Notre collecte de données comprend 30 entretiens semi-dirigés auprès d’employés de retour au travail après une absence pour des problèmes de santé mentale. Les sujets à l’étude sont des agents des métiers relationnels en santé et en éducation au Québec. Dans cette communication, nous exposerons l’analyse des résultats à partir de 4 axes : 1. la stigmatisation des troubles mentaux au travail, 2. de la prise de conscience d’un soi altéré au diagnostic de trouble mental, 3. la prise en charge médicale et socioprofessionnelle du travailleur 4. le retour au travail et les effets de l’étiquetage diagnostic et du congé maladie.
Mots clés :
Santé mentale, Individualisation des problèmes sociaux…, Pauvreté
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