Le travail sur Soi entre fragilité généralisée et barbaries
Année : 2015
Thème : Conférence pour le congrès de Porto 2015
Type : Autre (poster, ...)
Auteur(s) :
VRANCKEN Didier (Belgique) – Didier.Vrancken@ulg.ac.be
Résumé :
Conférence pour le congrès de Porto 2015
Nous sommes entrés dans une « société du travail sur Soi », société cherchant à produire des individus actifs, « acteurs », responsables, impliqués dans leur vie familiale, leur emploi, leurs relations, leurs rapports à l’environnement et au monde. Un tel type de société des services et de l’intervention sur les personnes, mobilise fortement ces intermédiaires de l’action publique que sont les travailleurs sociaux. Elle prend largement appui sur les schèmes historiques interventionnistes et relationnels du travail social, schèmes développés à l’origine auprès des publics les plus marginalisés. Or, voyant son champ d’action et son spectre d’intervention s’étendre progressivement, le travail social est devenu, en quelques décennies, une activité au cœur de nos sociétés, pour aider mais aussi pour littéralement produire de l’individu contemporain dans un contexte de montée généralisée des insécurités d’existence. Cette évolution se traduit, pour le travail social, par une perte et un brouillage de ses repères. En effet, avec la crise, avec la généralisation de l’intervention, son champ d’action ne porte plus sur les plus marginaux mais s’étend jusqu’à littéralement tenter d’accompagner les subjectivités et de « produire » de la société.
Cette société du travail sur Soi est aussi une société qui ne prend pleinement appui que sur un individu fortement fragilisé, un individu incertain, affligé mais toujours capable de retournement, de transformer une expérience traumatisante en y recherchant des atouts, des capacités de s’en sortir. Un individu et fragile et capable de se ressaisir. Il y a derrière cette séquence une dynamique de construction de Soi extrêmement importante à laquelle on n’a sans doute pas assez prêté attention. En effet, dans ce type de société, l’autre - l’exclu, le pauvre, qu’il s’agisse d’un chômeur de longue durée, d’une famille monoparentale, d’un bénéficiaire de l’aide sociale, d’une personne peu qualifiée, d’un jeune isolé, immigré ou d’une personne âgée isolées et précaire - ne nous est plus si étranger que cela. Il trace des trajectoires de vie probables que vont connaître des proches, des parents, des amis, des enfants, des personnes qui nous sont chères et nous renvoient désormais à notre propre image, là où autrefois, cet autre apparaissait encore comme un étranger, un « barbare », au sens étymologique du terme. Mais tandis que ce « barbare » ne cesse de nous renvoyer à notre propre image, on voit poindre un peu partout en Europe un phénomène de « lassitude de la solidarité » : les groupes les plus intégrés à la société apparaissent de moins en moins enclins à payer aveuglément pour ceux et celles qui ne leur semblent plus contribuer à la richesse collective car incapables, à leurs yeux, de produire les efforts nécessaires pour s’intégrer au marché de l’emploi, aux valeurs et à la culture des autochtones. Aucun pays européen n’échappe à la montée de partis populistes, voire d’extrême-droite ou d’une droite très conservatrice parfois héritière d’une longue tradition historique.
C’est précisément là, au cœur d’une société du travail sur Soi confrontée à la montée des inégalités et à la fragilisation généralisée de la population que cette « éminente dignité des pauvres », pour paraphraser Bossuet, apparaît plus que jamais comme le creuset d’une reconfiguration de l’intervention sociale et de l’impératif de solidarité.
Mots clés :
Travail social international, Solidarité, Intégration
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