Crises humanitaires, innovations sociales et paix civile : expérience de la Tunisie

Année : 2015

Thème : Conférence pour le congrès de Porto 2015

Type : Autre (poster, ...)

Auteur(s) :

JARRAY Fethi (Tunisie) – fethijarray21@yahoo.fr

Résumé :

Table Ronde Porto
Crises humanitaires, innovations sociales et paix civile: expériences du Liban et de la Tunisie
La Tunisie face aux crises postrévolutionnaires : enjeux et pratiques innovantes

Féthi JARRAY
Universitaire et ex-ministre de l’éducation en Tunisie

Participer à l’univers d’autrui, c’est avant tout rompre avec nos préjugés, avec ce que les ethnologues appellent « l’ethnocentrisme » voulant que chaque milieu social érige ses intérêts en valeurs universelles. Dans le travail social, les formes les plus reconnues de l’ethnocentrisme sont celles du jugement moral, suivent celles de la médicalisation et de la personnification qui relèvent d’un enfermement du regard dans les limites du champ disciplinaire.
Au rythme galopant des crises politiques et sociales, notamment dans la zone du MENA, L’action humanitaire s'est imposée comme une des rares valeurs positives. Cela dit, la problématique de l'humanitaire a envahi la politique internationale depuis deux décennies environ. En témoignent aux Nations Unies les nombreuses délibérations et résolutions du Conseil de Sécurité sur les questions humanitaires. De multiples opérations sont justifiées par des considérations humanitaires. Les organisations humanitaires ont un devoir de protection vis-à-vis des bénéficiaires d’aide, notamment les catégories sociales vulnérables. Ils doivent s’assurer que ces entités humaines sont traitées avec dignité et respect et que des normes comportementales minimales sont suivies lors de l’intervention humanitaire à leur faveur.
Au lendemain de sa révolution du 14 janvier 2011, la Tunisie a affronté une épreuve lourde qui a risqué de menacer la paix civile au sein du pays. En effet, au moment où la situation sociopolitique était nettement fragile suite à la chute du régime de Ben Ali, des conflits anti-gouvernementaux ont explosé en Libye, en février 2011, et ont rapidement tourné à la violence. Ces conflits ont vite pris de l'ampleur et ont provoqué le départ massif d’un nombre important de la population vers les pays voisins, en particulier la Tunisie et l'Egypte. Au début de la crise, de nombreux travailleurs migrants, principalement des égyptiens et des tunisiens, mais également beaucoup d'autres nationalités avaient fui la Libye.
Pour faire face à cette situation des réfugiés, et à la demande du gouvernement tunisien, l'Agence des Nations Unies pour les Réfugiés a apporté une réponse rapide à cette situation d'urgence, en envoyant des équipes de gestion des situations d'urgence en Egypte et en Tunisie. Le HCR était aussi présent. Il a établi avec ses partenaires de nombreux camps près des points de passage frontaliers de Ras Jdir et de Dh’hiba. Le HCR a travaillé avec les autorités tunisiennes et les organisations humanitaires - comme le Croissant-Rouge Tunisien et l'Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) - pour faire face à l'afflux massif de dizaines de milliers de personnes qui avaient fui la Libye.
Dans ce contexte de crise humanitaire, l’Unicef a pris une initiative historique en décidant d’intervenir directement en première ligne sur le camp de la Choucha au début de la crise, parce qu’elle a considéré que la situation d’urgence nécessitait une intervention très avancée sur le terrain au vue de l’absence d’intervenants spécialisés. Il est à noter qu’il s’agit d’une des rares fois où l’Unicef réalise une telle implantation sur terrain. A cet effet, l’Unicef a recruté une équipe de psychologues et de travailleurs sociaux pour assurer la prise en charge psychosociale des enfants séparés et non accompagnés et des familles refugiées.
D’ailleurs, l’expérience de la Choucha fut une première dans l’histoire de beaucoup d’organismes internationaux. La gestion du camp et la satisfaction des besoins des familles et enfants en situation d’urgence n’étaient pas évidentes vu le nombre important de réfugiés et d’intervenants surtout au début des événements. A noter aussi les sources de financement qui régressent avec le temps, les difficultés de travail de coordination entre les différents organismes, la complexité d’un nombre important de cas d’enfants vulnérables accompagnés ou non de leurs familles sans qu’ils aient la possibilité de retour dans leurs pays ni d’avoir le statut de réfugié dans les pays occidentaux… Tous ces facteurs, vus dans un contexte d’intervention en situation de crise, ont rendu la mission humanitaire assez délicate surtout avec l’absence d’évaluations sérieuses.
Quant aux citoyens tunisiens, ils ont manifesté une solidarité mécanique des plus rares à l’égard des réfugiés rassemblés sur les frontières tuniso-libyennes. Ils n’ont épargné aucun effort pour subvenir à leurs besoins et pour leur fournir l’aide dont ils avaient besoin. Bien que leurs efforts fussent plutôt spontanés, ils ont pu assister des milliers de réfugiés avant l’arrivée des organismes humanitaires. Les habitants des deux villes frontalières tunisiennes Ben Guerdane et Tataouine ont accueilli, tout au long de l’année 2011, des centaines de familles libyennes réfugiées chez eux.
Le pays des jasmins essaye depuis quatre ans de réussir le défi de la transition démocratique malgré l’instabilité politique et les crises qui menacent sérieusement la paix civile (assassinats de deux chefs de partis politiques, attentats terroristes, grèves anarchiques et revendications sociales, etc). Un nouveau modèle de « démocratie montante » est désormais un des principaux labels qui caractériseront la Tunisie de demain et qui feront probablement « l’exception tunisienne ».

Mots clés :

Crise sociale, Catastrophe humaine, Vivre ensemble

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