CHOUINARD Isabelle (Canada) – isabelle.chouinard3@uqat.ca

Les transformations importantes dans les institutions sociosanitaires québécoises des dernières décennies, dont l’importante fusion des établissements composant les nouveaux Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS), le recours aux principes de la Nouvelle gestion publique (NGP) dans l’administration des organisations gouvernementales (Bellot et al., 2013), la prédominance d’un modèle biomédical au sein des établissements sociosanitaires (Fassin, 2005), l’émergence de formes de sanitarisation et de psychologisation du social venant marquer les interventions de professionnels du social auprès des usagers (Bresson, 2006), l’appel à la collaboration interprofessionnelle (Couturier et al., 2013), des formes de rationalisation des actes des professionnels, marquent aujourd’hui la structure normative des interventions des professionnels dans le cadre de ces institutions.
Cette structure normative influe sur la façon dont les professionnels expriment leur pratique dans le cadre des institutions publiques, notamment dans les dossiers des usagers. Les écrits règlementent en effet toute demande de service sociosanitaire adressée à un établissement public en engageant la responsabilité du professionnel et de cet établissement envers les usagers. Étant régi par des dimensions déontologiques, professionnelles, éthiques et institutionnelles, le discours tenu à travers l’écriture professionnelle institutionnelle n’est donc pas anodin, car il témoigne d’une forme de positionnement de l’agent prestataire de service et de l’institution qui les encadre (Bouquet, 2009).
Face à ces déterminants, comment peut-on interpréter aujourd’hui le rôle du TS auprès des usagers? Quelle figure professionnelle est projetée par ces intervenants de l’action publique? Quelle est la particularité de l’action professionnelle en travail social institutionnel? C’est dans l’optique de mieux comprendre la logique guidant la rédaction de l’intervention sociale de travailleurs sociaux (TS) auprès de prestataires de services sociaux des établissements publics, qu’une recherche qualitative s’est intéressée au rapport à l’écrit de TS intervenant en CISSS. Cette communication présentera les résultats de cette étude, réalisée dans le cadre des travaux menés par l’Équipe de recherche et d’analyse des pratiques professionnelles (ERAPP).
Le corpus des données a été constitué de l’ensemble des documents constituant les dossiers de 8 usagers ayant bénéficié des services de TS (n = 6) œuvrant dans le cadre d’un CISSS (demande de service, notes évolutives des entretiens ayant été réalisés par les TS, plans d’intervention et rapports d’intervention sociale). Afin de dégager l’univers symbolique commun à l’ensemble des TS participants, le recours à la méthode d’analyse structurale de discours (Demazière et Dubar, 2004) a été privilégié pour le traitement des données écrites.
Les résultats permettent d’observer qu’à travers les dossiers, le registre langagier dans lequel s’inscrit le discours des TS repose sur un univers sémantique se rapprochant de celui du médecin. À l’image des professionnels des sciences de la santé qui diagnostiquent les malaises et les symptômes exprimés par un patient, les TS revêtent la figure de spécialistes des problèmes des usagers en évaluant leurs difficultés, à la lumière de barèmes et de critères institués par les établissements sociosanitaires publics afin de légitimer l’octroi de services professionnels à un usager, et en lui proposant certaines formes de « traitement » conséquentes. La logique principale se dégageant de leur intervention à l’écrit vise donc surtout à intervenir sur autrui (Lima, 2013), par la production d’un savoir d’expertise sur la nature des problèmes rencontrés par les usagers et par l’incitation de ces usagers à s’insérer dans un registre d’actions individuelles témoignant avant tout d’une solidarité de responsabilisation (Soulet, 2005).

Secteur public, Analyse de discours, Individualisation des problèmes sociaux…