Turcotte Emmanuelle (Canada) – emmanuelle_turcotte@yahoo.ca

Une femme québécoise sur cinq, née pendant la première vague du baby-boom (1947-1956), n’a pas donné naissance à un enfant au cours de sa vie (Institut de la statistique du Québec, 2013). Passé le cap de la soixantaine, les non-mères sont aujourd’hui relativement nombreuses à aborder la « retraite » et à se projeter dans les prochaines étapes de leur vie. La recherche antérieure a eu tendance à décrire les individus sans enfant comme une population vieillissante à risque, notamment à cause de l’absence de descendants qui sont vus, avec les conjoints, comme les potentiels premiers aidants des aînés en perte d’autonomie (Ivanova et Dykstra, 2015). Cette vulnérabilité supplémentaire associée implicitement aux personnes âgées sans enfant constitue un enjeu social d’importance dans la perspective où les États occidentaux tendent à transférer à la famille une plus grande part des soins et services dédiés à la perte d’autonomie des individus. (Federici, 2012).
Dans cette optique, comment les femmes sans enfant issues du baby-boom conçoivent-elles leurs besoins en vieillissant ? Perçoivent-elles l’absence d’enfant comme un manque, voire comme un handicap pour le grand âge ? Comment évaluent-elles leurs réseaux de soutien actuels et futurs ? Quelles sont les stratégies adoptées en vue de leur vieillissement ? Comment se positionnent-elles face aux besoins de leurs proches en perte sévère d’autonomie ?
Cette communication répondra en partie à ces interrogations à partir des résultats tirés du volet qualitatif d’une thèse doctorale en sociologie mobilisant les méthodes mixtes. Dix-sept femmes québécoises sans enfant nées entre 1947 et 1956 ont été rencontrées pour tenter d’appréhender l’impact potentiel de la non-maternité sur leur vieillissement. Les entretiens semi-directifs sont analysés dans une perspective des parcours de vie (Elder et Giele, 2009 ; Gherghel et Saint-Jacques, 2013) qui favorise la prise en compte des facteurs de l’agentivité, des aspects temporels associés aux événements, ainsi que des interrelations entre les différentes sphères de la vie des répondantes (ex. : conjugalité, travail, amitié, etc.). Sur le plan théorique, les analyses sont enrichies des travaux de M. Friedman (2003) sur le concept d’autonomie relationnelle, et de D. Martuccelli (2010) sur le processus sociétal de singularisation.
L’analyse permet de mettre en évidence l’avantage que semble plutôt constituer l’absence d’enfant dans l’expérience de la grande majorité des femmes rencontrées. Celles-ci ont en effet développé tout au long de leurs parcours des ressources personnelles, sociales et financières qui peuvent s’avérer de réelles forces pour envisager le processus de vieillissement. Les récits des femmes font ressortir distinctement les thèmes de responsabilité personnelle et d’autonomie individuelle (fortement liée à l’indépendance financière) comme préoccupations fondamentales de leur vieillissement sans enfant. Elles tirent par ailleurs une large part de leur soutien instrumental et affectif dans l’amitié qui représente une sphère centrale de leur expérience. Pour un grand nombre des femmes du corpus, le cercle d’amis proches représente « la famille » qui remplace en ce sens les liens solidaires qui auraient pu les unir avec leurs enfants potentiels. Enfin, les répondantes ne se sentent pas plus investies du rôle d’aidante auprès de leurs parents vieillissants que leurs sœurs ou frères ayant des enfants ; elles ne représentent donc plus les bâtons de vieillesses désignés d’autrefois.
Compte tenu de ses objectifs, cette communication pourrait s’inscrire dans l’axe 1 du congrès : « La recomposition des solidarités, témoin et partie prenante de la transformation des liens sociaux ».

Autonomie, Femmes, Lien social, Non-maternité