Le "meubladon" une expérimentation d’économie collaborative
Année : 2016
Thème : Action de formation solidaire
Type : Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...
Auteur(s) :
Dubus Nicole (France) – ndubus@irts-ca.fr
Résumé :
Dans le contexte actuel de crise économique, un grand nombre de personnes peinent à « joindre les deux bouts ». Concomitamment, des phénomènes de gaspillage multiples continuent à se développer. Face à cette situation, une question se pose, chaque jour davantage, pour les formateurs de notre secteur : comment impulser une certaine créativité aux apprenants - ces « fantassins du social » comme les appelait Pierre Bourdieu ?
En tant que cadre pédagogique, responsable, notamment, de la formation de celles et ceux qui auront à se confronter, en « première ligne » aux diverses formes de précarité et d’exclusion - les Techniciens de l’Intervention Sociale et Familiale - le challenge d’une innovation autour de la solidarité a germé sous la forme d’une journée de réflexion sur le thème « Entreprendre autrement ». Le Film « Demain » réalisé par Mélanie Laurent et Cyril Dion en 2015 a d’ailleurs été visionné dans ce cadre.
Comment, donc, promouvoir une action « éco-consciente » avec un dispositif d’entraide et de solidarité ? Au terme conclusif de cette journée de réflexion « Entreprendre autrement », les apprenants TISF ont pu présenter leur idée : le « meubladon ». Le concept en est simple : un meuble, dans un espace aménagé au sein d’un institut de formation en travail social qui invite apprenants, professionnels et formateurs, à venir déposer des objets dont ils n’ont plus besoin mais « qui pourraient servir à d’autres ». Le « meubladon » est conçu sur le principe de la « givebox », ce système d’économie collaborative est né en Allemagne, en 2011, à l’initiative Andreas Richter, un styliste Berlinois qui, excédé par l’accumulation d’objets inutiles chez lui, a décidé de déposer ses babioles dans la rue pour les proposer gratuitement aux passants.
Le lancement est survenu en septembre 2016, et les 9 mois d’expérimentation qui suivirent peuvent surprendre...
Parmi nos sources d’inspiration, il est possible de mentionner : le « sharing is caring » - « partager c'est prendre soin de l’environnement de l'Autre » (BIOY A , FOUQUES D. Manuel de psychologie du soin, p159 ).Parmi nos valeurs conductrices, évoquons aussi la promotion permanente d’un comportement « eco-friendly » visant à réduire le gaspillage et, par extension, à mieux partager avec les autres.
Tout cela, au détour d’un couloir… Grace au « meubladon » chacun peut s’approvisionner, dans un centre de formation, en récupérant, ici, un livre ou, là, un objet. La démarche devient aussi une « affaire de rencontres ». On prend le temps de regarder, de s’arrêter, de réfléchir - voire de discuter. Dans un lieu rationnalisé, ordonné, surgit un espace et un temps d’imprévisibilité, de spontanéité, et peut-être aussi - risquons le mot - de poésie... Dans ce tiers-lieux ou non-lieu, on ne donne pas pour recevoir, on donne pour que l’autre donne à son tour... Cela corrobore les travaux de Mr Octave Debary, chercheur à l’Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain, qui souligne notre besoin de « modalités sociales et culturelles précises » pour nous aider à nous séparer de nos objets...
Alors, de quel don parlons-nous ? Quel est le sens de ce don qu’espère susciter le « meubladon » ? Précisons que, toujours, donateurs et donataires restent anonymes. Ils se savent exister mais sans se connaitre, et, ici, le don ne confère aucune obligation, ni pour celui qui donne, ni pour celui qui reçoit. Il n’y a donc pas instauration d’un « système » porteur d’organisation sociale comme celui que nous décrivait si merveilleusement Marcel MAUSS. L’ambition est moindre mais les résultats nous surprennent chaque jour : aussi informelle que puisse sembler l’expérience, elle est indéniablement porteuse de socialité, de convivialité, d’humanité, et de réflexion sur ce « sens du don » qui, dans notre monde de « solidarité organisée » tend à disparaître comme la mémoire de l’eau…
Comment pouvons-nous baptiser ces personnes qui se débarrassent de leurs affaires sans les donner directement à un autre, sans les vendre et sans les jeter dans la première déchetterie venue ? Cette question reste encore sans réponse ou peut-être cette dernière nous apparaît-elle comme trop théorique. Car c’est de vivant dont il s’agit… Alors, peu importe leur désignation : c’est avec reconnaissance et humour que nous les accueillons tous !
Mots clés :
Solidarité, Lien social, Quête du sens
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