La participation à l’organisation des services publics à l’épreuve des rodas brésiliennes
Année : 2016
Thème : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...
Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...
Auteur(s) :
Ruelland Isabelle (Canada) – ruelland.isabelle@uqam.ca
Résumé :
Au Brésil, les mouvements antiautoritaires engagés notamment dans de la réforme psychiatrique participent de la création de dispositifs de participation sociale parmi les plus innovants sur le plan de la démocratisation. Depuis la fin de la dictature dans les années 1990, des structures municipales de participation facilitent une prise en charge publique des services de santé mentale (Amarante, 2001 ; Campos, 2005 ; Dagnino et Tatagiba, 2010 ; Onocko et al., 2009 ; Escorel et Moreira, 2009). Notre recherche menée auprès du réseau local de santé mentale de la ville de Campinas dans l’État de São Paulo expose comment ces structures ne constituent pas la principale courroie de transmission entre les citoyen.ne.s et le réseau public pour assurer le droit à la santé mentale pour tous. Nos résultats exposent en fait l’émergence d’espaces de participation citoyenne en marge du système public de santé. Communément nommées «rodas» (cercle en portugais), ces « cercles citoyens » se caractérisent par des situations au cours desquelles un petit groupe d’acteurs se réunit pour réfléchir, débattre et décider d’actions à mener en rapport à l’organisation locale des politiques publiques en santé mentale.
Cette communication propose de rendre compte des logiques d’action et des effets produits par des rodas en termes de rapports sociaux de pouvoir. En quoi les rodas transforment-elles les rapports de pouvoir induit par l’organisation participative des services? En quoi ces dernières viennent-elles soutenir des solidarités entre les différents acteurs impliqués? Il ne s’agit pas d’étudier les rapports sociaux de pouvoir et les liens de solidarité sous l’angle des dispositifs participatifs, mais bien à partir des expériences vécues et de la production collective de subjectivation politique (Abélès, 2014 ; Agamben, 2007 ; Dagnino, 2004 ; Dardot et Laval, 2014 ; Guattari, [1989] 2012, Lefort, 1966 ; Merhy, 2002; Rancière, 1998).
Dans les années 2010, le réseau de santé mentale de Campinas traverse une des plus importantes crises de son histoire. Des coupures et la privatisation de services ont mené à une vaste mobilisation citoyenne. Dans ce contexte, nous identifions les points de tensions et d’agencements entre les rodas et les dispositifs participatifs du réseau en portant attention aux expériences quotidiennes. Les rodas constituent des stratégies mises en œuvre par des travailleurs, des gestionnaires et des destinataires afin de maintenir le droit à la santé mentale, et ce, malgré l’adversité politique et économique en cours au Brésil. C’est par elles que s’articule et se reconfigure la défense des acquis locaux en terme de droit à la participation en santé mentale. En ce sens, elles permettent aux citoyen.ne.s de Campinas de donner sens et forme à un projet local de démocratisation.
L’analyse des rodas dégage de nouvelles pistes de compréhension des leviers de pouvoir collectif en contexte de participation institutionnelle. Par le partage de temps dans une pluralité d’espaces ouverts, par le partage d’affects ainsi que par la problématisation collective d’évènements critiques affectant le quotidien, les rodas agissent sur la hiérarchisation de manière à la réduire. Cet effort collectif de démocratisation sans cesse renouvelé ne permet toutefois pas de venir à bout des inégalités de pouvoir induites par l’organisation des services et par la société brésilienne. Comme pratique citoyenne, les rodas constituent néanmoins des leviers collectifs pour dénoncer des contradictions et des injustices sociales au sein et en dehors de l’organisation participative. Elles relèvent la possibilité d’une critique collective continue ouverte à la créativité sociale. Cette présentation ouvre finalement sur une nouvelle compréhension critique de la démocratisation organisationnelle.
Mots clés :
Espace démocratique, Administration locale, Citoyenneté
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