Les solidarités à l'épreuve du travail social : le cas des prostituées dans trois villes européennes (Bruxelles, Amsterdam, Stockholm)

Année : 2016

Thème : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...

Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...

Auteur(s) :

MAES Renaud (Belgique) – rmaes@ulb.ac.be

Résumé :

Les représentations collectives relatives aux prostitué-e-s sont fortement marquées par les images mythiques de la "putain", qui se sont constituées au fil du temps. Si les travaux des médecins hygiénistes du XIXe siècle ont construit le mythe de la "putain vénérienne", représentant un danger pour la société par les risques de contagion qu'elle représente, et le mythe de la "putain dégénérée", qui suppose que la prostitution est le résultat d'une déviance innée des femmes, la production scientifique et littéraire du début du XX a quant à elle ancré le mythe de la putain comme expression ultime de la libido féminine. Ces représentations guident fortement les débats publics et l'action politique relatives à la prostitution, et aboutissent en des dispositifs marqués par des ambigüités. Si la Suède (néoabolitionniste) entend que la prostituée est une victime, le crime que commet un client est vis-à-vis de l'état, si les Pays-Bas (néoréglementaristes) considèrent que les prostitué-e-s sont des travailleuses qui choisissent une "profession", plusieurs villes hollandaises imposent des règles strictes de contrôle sur l'activité prostitutionnelle dans le but de réduire l'activité prostitutionnelle à son strict minimum, dans le souci de "minimiser les nuisances qu'elle engendre". La Belgique (officiellement abolitionniste) a pour sa part instauré un régime de tolérance générale, qui n'empêche pas une lutte contre la prostitution dans la plupart des centres urbains, passant par des initiatives au niveau des communes (municipalités).
Notre communication a pour objet d'interroger les effets de ces ambigüités sur le travail social auprès des prostituées dans trois villes : Stockholm, Amsterdam et Bruxelles.
Plus précisément, elle s'intéresse aux solidarités entre prostitué-e-s "de rue" et "de vitrines" et à la possibilité de leur prise en compte dans le cadre du travail social mené par les intervenants sociaux issus de différentes institutions.
L'entrée dans l'activité prostitutionnelle de rue ou de vitrine suppose un véritable processus d'affiliation, d'apprentissage de codes et de conventions. Que ce soit l'habillement adéquat, les tarifs à pratiquer, quel coin de rue fréquenter, comment se comporter face à la police, tous ces éléments s'acquièrent progressivement.
Ce processus est, de manière très fréquente, le fruit d'une "initiation par les pair-e-s".
Par ailleurs, les moments d'attente entre les clients constituent des moments d'échange, où des dialogues se nouent autour de l'activité prostitutionnelle mais aussi de la (sur)vie en général. Se tissent, dans ce cadre, des mécanismes de support mutuel, qui peuvent également prendre la forme d'échanges solidaires.
Notre enquête se fonde sur corpus de 31 témoignages de prostitué-e-s recueillis dans les trois villes ainsi que sur un corpus d'une quarantaine de témoignages d'acteurs sociaux (pour l'essentiel, des travailleurs sociaux de terrain).
Notre communication sera structurée en trois temps :
1. Nous mettrons en évidence la manière dont ces mécanismes de solidarité et d'échanges entre prostituées se structurent en fonction du contexte local (cadre juridique, action institutionnelle).
2. Nous discuterons les possibilités d'action des intervenants sociaux et l'impact de leurs interventions sur les prostitué-e-s. Sur base des témoignages recueillis, nous mettrons en évidence les stratégies des travailleurs sociaux pour prendre en compte ces solidarités, souvent en porte-à-faux par rapport à leur institution. En particulier, nous questionnerons le bienfondé de l'isolement comme étape primordiale des programmes de sortie, mais aussi des programmes de prévention et de lutte contre les addictions qui traitent isolément les prostitué-e-s.
3. Nous conclurons en envisageant l'impact des "nouvelles formes de prostitution" et singulièrement de la "prostitution en ligne" sur les solidarités entre prostitué-e-s et sur les possibilités d'un travail social auprès d'elles et eux.

Mots clés :

Intervention sociale et travail social, Quartier, Solidarité de proximité, Prostitution

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