Dandurand Isabelle (Canada) – isabelledandurand@gmail.com

Les changements contemporains et la complexité du monde dans lequel nous vivons sont insaisissables de façon simple et rationnelle. Les crises planétaires se succèdent: crises financières, crises écologiques, crise du développement à tout prix et finalement, crise de l’humanité. Avec Morin, nous considérons que la situation appelle à transformer les pratiques, mais surtout nos façons de penser (Morin, 2011). Depuis un certain nombre d’années, de nouvelles formes d’organisation sociale basée sur le « commun » (Dardot et Laval, 2014) permettent d’offrir des espaces où des personnes peuvent vivre, interagir et décider de la façon dont les ressources communes sont gérées collectivement. Ce mouvement s’appuie sur une philosophie humaniste qui vise à préserver les ressources au bénéfice des générations futures et renvoie à un ordre d’existence et de savoirs auxquels nous sommes peu habitués en Occident. Ces initiatives appellent de nouveaux modes d’organisation et participent à la reconfiguration des formes d’engagement qui animent nos rapports sociaux, car elles impliquent des pratiques démocratiques et des principes éthiques qui tiennent compte du contexte et des relations humaines.

Le projet de recherche-intervention que nous allons mener s’inscrit dans le cadre d’une démarche doctorale dont l’objectif sera d’accompagner un groupe dans la réflexion et la mise en œuvre d’un projet d’entreprise solidaire basée sur des fondements bouddhistes. Notre question de recherche est la suivante : les pratiques liées à la présence attentive (mindfulness) en collectif peuvent-elles devenir un levier de transformation sociale ? Si oui, comment ? Quels savoirs cela suppose ? Le collectif se développe depuis quatre ans à partir de ses propres règles, normes et pratiques, inspirées des principes du bouddhisme et de l’art relationnel. Les thèmes explorés jusqu’à maintenant portent sur la relation à soi, à l’autre et à la communauté.

De nombreuses études ont été menées sur le phénomène de la présence attentive dans plusieurs disciplines ces dernières années. Peu de recherches empiriques traitent toutefois du phénomène en contexte organisé dans sa conception bouddhiste (Brummans, 2013, 2014). C’est à partir d’une approche phénoménologique que nous explorerons l’expérience vécue des participants du projet ainsi que notre propre expérience en tant que chercheuse-praticienne pour mieux comprendre ce phénomène et les liens potentiels avec les transformations sociales. Les ancrages de la recherche sont constructivistes (Le Moigne, 2012), les connaissances émergent de l’action au fil du temps. Quant à la perspective ontologique, elle est fondamentalement relationnelle (McNamee et Hosking, 2012), car les individus ne sont pas compris comme des entités distinctes qui préexistent les relations.

Pour cette communication, notre objectif sera de partager ce qui émerge de l’amorce de ce projet d’organisation solidaire. La description de cette étude de cas vise à mettre en lumière les formes que prennent les solidarités et leurs conditions de mises en œuvre dans le cadre de cette initiative, en plus de partager nos réflexions quant à ce que suppose une posture de recherche-intervention dans ce contexte. Les données seront issues des activités de démarrage de l’organisation réalisées entre avril 2016 et mars 2017.

Dans un monde où de plus en plus d’acteurs semblent vouloir limiter la progression de la logique marchande, revenir à une échelle plus humaine dans nos rapports humains et dans notre façon de nous organiser et d’apprendre serait une piste intéressante à explorer. Une société dans laquelle les enjeux sociaux se complexifient et où le tissu social et culturel se fragmente aura sans doute intérêt à considérer la présence attentive comme génératrice de savoirs éthiques (Varela, 1996) essentiels à préserver et à cultiver pour renouer des liens de solidarité et développer des capacités d’empathie et de compassion.

Changement, Savoir être, Générations futurs, Complexité