Radicalisation : que peut l'intervention sociale ?

Année : 2016

Thème : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...

Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...

Auteur(s) :

MAES Renaud (Belgique) – rmaes@ulb.ac.be
SYLIN Michel (Belgique) – msylin@ulb.ac.be

Résumé :

La lutte contre le phénomène dit « de radicalisation » constitue une priorité politique des autorités publiques aujourd’hui. Dans un climat de panique faisant suite aux attentats qui ont touché plusieurs villes européennes, lesdites autorités ont pris toute une série de mesure visant à empêcher notamment le départ de « jeunes » vers la Syrie et à prévenir « l’endoctrinement djihadiste ».
Dans ce cadre, une attention toute particulière a été portée vers les travailleurs sociaux des structures agissant à l’échelle locale. Leur responsabilité dans la détection et la prévention des « cas de radicalisation » a été largement mise en exergue par de nombreux discours ministériels, notamment en France, aux Pays-Bas et en Belgique et des mesures visant à renforcer cette responsabilité ont été adoptées.
Notre communication vise à interroger les possibilités d’intervention sociale face « à la radicalisation ». Elle se base notamment sur une série de 6 entretiens de groupe avec 10 jeunes de la commune de Molenbeek, pointée dans de nombreux médias comme étant « la base arrière du terrorisme islamiste en Europe ». Ces jeunes ont en commun d’avoir envisagé un départ vers la Syrie.
Dans un premier temps, nous étudierons la généalogie de cette notion de « radicalisation ». Nous questionnerons son utilité pour une démarche compréhensive du phénomène de « basculement dans la violence ». Nous proposerons l’idée que la seule manière de donner un sens à ce concept dangereusement polysémique de « radicalisation » est de considérer que les basculements résultent d’un processus dialectique. C’est-à-dire que la « radicalisation » des individus serait une réponse à une « radicalisation » de la société et réciproquement. Plus exactement, la « radicalisation » de l’individualisation des fonctions de contrôle social et de (re)production des inégalités propres aux institutions étatiques va de pair avec une radicalisation de l’individu soumis à cette action, cette « radicalisation » individuelle légitimant par effet retour la « radicalisation » de l’individualisation sociale.
Dans un second temps, nous questionnerons cette hypothèse à la lumière des témoignages de terrain recueillis dans les groupes de discussion. Nous décrirons le rapport particulier aux institutions et aux assistants sociaux dont témoignent les jeunes concernés. Nous questionnerons l’importance du facteur religieux, des dynamiques de collusion et des tensions intergénérationnelles. Nous verrons que les grilles d’analyse proposées par la théorie de la reconnaissance d’Axel Honneth fournissent des grilles d’analyse extrêmement fécondes pour décrire les vécus et les représentations collectives des jeunes interrogés dans le cadre de nos travaux.
Dans un troisième temps, nous esquisserons quelques pistes de réflexion qui concernent les modalités de l’intervention sociale face à la « radicalisation ». Nous suggérerons que l’approche sécuritaire est de nature à agir comme catalyseur des mécanismes d’affaiblissement du lien social lié à l’expérience du mépris (au sens d’Honneth). En confiant un double rôle d’accompagnement et de contrôle aux travailleuses sociales et travailleurs sociaux, les autorités publiques mettent celles et ceux-ci dans une situation de double contrainte impossible à assumer, avec le risque dès lors de renforcer la démotivation de ces travailleuses et travailleurs. Nous conclurons en soulignant l'importance de repenser la question des solidarités dans le cadre de l'intervention sociale pour pouvoir contribuer à restaurer le lien social et ce faisant, lutter effectivement contre "la radicalisation".

Mots clés :

Lien social, Vivre ensemble, Intervention sociale et travail social, Radicalisation

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