CHAURAND Camille (France)

Les transformations des sociétés salariales des dernières décennies, avec notamment l’ascension de l’individualisme, la « seconde » mondialisation des années 1980 et la montée en puissance du système capitaliste, ont eu des répercussions sur le monde du travail. On exige désormais des salariés d’être autonomes dans leur travail, de prendre activement part à la production, de se comporter comme de véritables « entrepreneurs » dans leur travail. On reconnaît aux salariés une subjectivité, mais au lieu de leur être bénéfique pour faire valoir leurs idées, leurs valeurs, elle est utilisée et transformée en contrainte, désormais indispensable à la réalisation de la production. L’engagement qui en découle pour les travailleurs correspond à une injonction à être acteur et responsable de leur vie et de leur travail.

De plus, ces transformations ont amené une logique de « donnant-donnant » entre les sociétés et les individus. Là où auparavant l’État traitait les situations de façon collective avec la préoccupation première de la solidarité, on lui demande aujourd’hui de « faire avec » les situations singulières. Dans cette logique, on est passé d’un « État-bailleur » à un « État-souteneur », qui doit permettre aux individus de trouver, ou de reprendre leur place dans la société. Cette subjectivation des conditions de vie des individus ne représente pas uniquement un enjeu individuel, mais aussi un enjeu social, l’autoréalisation des individus comme des sujets autonomes et responsables d’une part, et d’autre part leur constitution en tant que membre de la société : une « société de responsabilité de soi » .

Les individus accèdent certes à l’autonomie, mais on leur demande aussi d’en être responsables, et la différence entre les aspirations et leur réalisation est souvent créatrice d’incertitudes, de souffrance sociale, et de vulnérabilité. À partir de là, cette injonction à l’autonomie incombe notamment aux individus les plus vulnérables, de par leur difficulté, voire leur impossibilité à répondre aux exigences des sociétés occidentales.

On peut donc s’interroger sur les conséquences engendrées pour les professionnels du travail social qui sont tenus d'accompagner les populations les plus vulnérables. En effet, ces transformations ont entraîné de nouveaux cadres juridiques (l'exemple le plus marquant ces dernières années est la loi 2002-2 dite de « rénovation des secteurs social et médico-social »), qui sont venus le plus souvent contrôler l'autonomie accordée aux professionnels. La montée des injonctions paradoxales qui en découle, si connues du travail social, va sans doute les obliger à mettre en place toutes formes d’étayages afin de tenir dans des institutions qui ne sont pas toujours en capacité de les soutenir. L’incertitude à laquelle les professionnels peuvent parfois être confrontés fait émerger la question de la souffrance, voire de la violence qu’ils peuvent ressentir dans leur quotidien. On peut cependant imaginer que les contraintes de la loi auxquelles sont confrontés les professionnels les obligent à explorer de nouvelles ressources dans leur professionnalité. La question est de savoir à la fois à quoi on est confronté avec un cadre juridique de plus en plus contraignant qui peut réduire les possibles, et comment les professionnels se saisissent de ce cadre pour ouvrir d’autres possibles ?

Ainsi, à travers l’exemple de la mise en place d’un groupe de réflexion sur la prévention de la souffrance au travail, nous proposons d’analyser comment les professionnels peuvent se saisir du collectif comme d’une ressource pour faire face aux nouveaux modes de gouvernance du secteur social.

Secteur socio-éducatif, Action collective, Méthodologie