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LOSER Francis (Suisse) – francis.loser@hesge.ch

Cette communication prend appui sur une recherche ethnographique menée dans quatre ateliers d’art suisses fréquentés par des artistes en situation de handicap. Ces dispositifs se démarquent des projets éducatifs et de l’art-thérapie puisqu’ils accueillent des artistes pour les soutenir sur le plan technique et diffuser leurs œuvres. Les résultats d’enquête montrent que les participants de ces structures réussissent à développer un langage artistique propre autorisant leur participation à des expositions individuelles et collectives, organisées parfois dans des lieux réputés de l’art contemporain. A l’évidence les créations suivent un processus d’artification (Heinich & Shapiro, 2012) et les ateliers d’art fonctionnent comme un « monde de l’art » (Becker, 1999, 2010). Soutenus par des artistes « valides », intégrés au réseau des acteurs du champ artistique, qui misent sur leur potentiel artistique et leurs ressources, les artistes en situation de handicap se retrouvent « […] au centre d’un réseau de coopération de tous les acteurs accomplissant un travail indispensable à l’aboutissement de l’œuvre (2010, p. 49).
Pour les artistes en situation de handicap le succès artistique est au rendez-vous, mais des questions se posent pourtant en rapport à leur situation sociale. Comment se joue l’articulation entre un statut dévalorisé de personne « handicapée » et un statut valorisé d’artiste ? En quels termes convient-il de désigner leurs œuvres ? S’agit-il d’art brut, d’art singulier, d’art outsider ou simplement d’art ?
Selon les disability studies ou modèle social du handicap (OMS, 2001, Oliver, 1996 ; Fougeyrollas, 1998), l’interaction individu-environnement prime sur les considérations personnelles et les déficiences. Aussi, toute déficience peut être considérée « comme une particularité qu’un processus inclusif veut prendre en compte au titre d’une singularité parmi d’autres » (Pillant, p. 108). Or, dans le champ artistique la singularité constitue précisément le régime spécifique de valorisation et cela dès l’époque moderne (Heinich, 1991), ce qui tend à inclure les artistes en situation de handicap parmi les artistes contemporains. Dans la perspective du mouvement des droits des personnes, certains artistes revendiquent pourtant une place dans l’art mainstream tout en considérant la situation de handicap comme une expérience fondatrice de leur création (Solvang, 2012). Comme on le voit, la situation des artistes en situation de handicap renvoie à la fois à la stigmatisation (Goffman, 1975), à la lutte contre les discriminations sociales et aux revendications identitaires des groupes minoritaires (Ravaud & Sticker, 2000).
Sur la base des résultats d’enquête, la présente contribution vise à analyser deux aspects qui interrogent la notion de solidarité. D’une part, l’investigation portera sur les motivations qui poussent certains artistes « valides » (les responsables d’atelier d’art) à soutenir des artistes en situation de handicap. La différence devenant la caractéristique d’une commune humanité, s’agit-il d’une simple évolution des pratiques sociales qui banalisent ce type d’activité ? S’agit-il au contraire d’une marque d’appartenance à une même communauté, celle des artistes, qui impliquerait des rapports de sympathie et de solidarité entre ses membres ? D’autre part, notre questionnement portera sur les effets induits par la recherche et l’implication des chercheurs. Par le processus engagé, qui a favorisé des rapprochements entre artistes de différents ateliers ainsi qu’une mise en visibilité des artistes au travers des articles publiés, dans quelle mesure les chercheurs n’ont-ils pas activé une forme de solidarité ? Solidarité entre artistes d’abord et solidarité entre chercheurs et artistes en situation de handicap ensuite ?

Transfert des connaissances, Réseau, Solidarité, art