Agir comme briseure de culture dominante pour reconstruire des solidarités :
Leçon tirée de l’expérience de femmes en situation de pauvreté
Année : 2017
Thème : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...
Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...
Auteur(s) :
Savoie Lise (Canada) – lise.savoie@umoncton.ca
LANTEIGNE ISABEL (Canada) – isabel.lanteigne@umoncton.ca
ALBERT Hélène (Canada) – helene.albert@UMoncton.ca
Résumé :
Cette communication s’inspire des résultats d’une étude qualitative portant sur des réalités de femmes francophones en situation de pauvreté vivant en milieu rural au Nouveau-Brunswick, Canada (Savoie, Lanteigne, Albert et Robichaud, 2016; Savoie, Albert et Lanteigne, 2017). Cette recherche a recensé les récits de 17 femmes qui ont partagé leur expérience de la pauvreté. Ainsi, en dehors des conditions objectives que crée la pauvreté, le regard social porté sur ces femmes fait qu’elles deviennent objets de stigmatisation (Savoie et al., 2016). De plus, elles sont souvent représentées comme l’Autre, dans un discours dominant qui tend à blâmer l’individu pour sa situation de pauvreté créant ainsi une distance sociale entre ces femmes et les plus privilégiés. Cette «autrification» est l’expression d’une forme de désolidarisation sociale à l’endroit des femmes en situation de pauvreté.
En effet, la stigmatisation dont elles font l’objet est aussi soutenue par un discours politique à tendance néolibérale, qui individualise la responsabilité à l’égard de la pauvreté contribuant à nourrir de fausses conceptions. Ce dernier a des conséquences sur l’opinion publique à l’endroit des personnes qui vivent cette situation, agissant ainsi sur l’opinion populaire (Pemberton, Fahmy, Sutton et Bell, 2015). Un tel discours disqualifie les modes de vie de ces personnes et conduit à la désolidarisation des liens sociaux essentiels à la promotion de la justice sociale. Ce qui interpelle devant ce constat, en tant que chercheures, professeures et citoyennes, c’est la responsabilité qui nous incombe de déconstruire, voire de briser ce type de discours en formant des travailleuses sociales investies dans la reconstruction des solidarités. Krumer-Nevo (2015) invite d’ailleurs les chercheures et les travailleuses sociales à agir comme briseures de culture dominante, pour ainsi contribuer à déconstruire le processus d’autrification et les pratiques qui en découlent. Elle indique aussi à quel point il est essentiel que les travailleuses sociales soient solidaires des personnes en situation de pauvreté avec lesquelles elles travaillent, en raison de l’asymétrie de pouvoir liée à leur position respective soutenue par la culture néolibérale dominante et contribuant à l’autrification.
De plus, Krumer-Nevo et Benjamin (2010) distinguent trois contre-discours portés par des militantes et chercheures pour contrer le discours conservateur dominant sur la pauvreté, contre-discours auxquels les travailleuses sociales en devenir doivent réfléchir de manière critique. Ces dernières analysent ces contre-discours en faisant ressortir leur pertinence tout en mettant en garde contre leurs effets pervers qui risquent d’accentuer le processus d’autrification. Le premier contre-discours rend visibles les contextes politiques et structurels qui contribuent à la pauvreté, le deuxième valorise la voix et l’action des personnes en situation de pauvreté et le troisième confronte la vision de dépendance, de passivité et de déficit moral en valorisant la débrouillardise dont font preuve les personnes en situation de pauvreté. Brièvement, les effets pervers de ces contre-discours risquent de contribuer à la déshumanisation des situations vécues, à la décontextualisation de leur situation de pauvreté et à l’idéalisation des stratégies de débrouillardise qu’elles mettent en œuvre.
Le narratif des participantes a permis de prendre conscience de la pertinence de ces contre-discours pour accroître la solidarité sociale. Ainsi, il semble nécessaire que les travailleuses sociales comprennent ces trois contre-discours – et leurs effets pervers – de manière interreliée pour éviter de contribuer à l’autrification de ces femmes. Or, l’éthique de la solidarité prend forme quand les travailleuses sociales se positionnent du côté de ces femmes et luttent avec elles contre la pauvreté, les conviant à l’actualisation d’un nouveau rôle, soit celui de briseures de culture dominante.
Mots clés :
Pauvreté, Femmes, Solidarité
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