Principe de solidarité et "mineurs délinquants"
Année : 2017
Thème : Le principe de solidarité à l’épreuve des altérations de l’empathie et de la rupture du lien à l’autre chez des adolescents qui « délinquent »
Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...
Auteur(s) :
TOUIL Ahmed-Nordine (France) – touil.ahmed-nordine@ireis.org
Résumé :
Les mineurs délinquants multi-récidivistes pris en charge dans les centres éducatifs fermés ont pour particularité d’apparaître à la fois comme disqualifiés (Paugam, 2009), désaffiliés pour certains (Castel, 1995), insécures et porteurs de carences affectives parfois abyssales pour la majorité d’entre eux. L’altération à toute figure d’empathie (Zanna, 2010) les rend difficilement accessibles à l’autre et à toute forme de solidarité. Une question dès lors se pose : comment « convertir » des adolescents délinquants au principe de solidarité et du vivre ensemble dans des espaces éducatifs contraints, quand la rupture du lien à l’autre rend caduque leur adhésion à ce dernier ?
Dans un contexte contraignant, l’expérimentation via des activités médiatrices favorisant la nécessaire présence de (et à) l’autre, son soutien et son aide parfois, transforme ces institutions en laboratoires d’émergence des émotions partagées et de la part du sensible (Libois, 2013). Notre approche ethnologique, fruit d’un travail de thèse qui se finalise, entend décrire la manière dont l’initiation à des formes de solidarité se réalise au sein de ces structures. Il s’agit en effet pour celles-ci de favoriser une économie des émotions (Petit, 2015) ; nous avons pu constater que les équipes éducatives expérimentent, parfois de manière intuitive, des modalités originales d’une contrainte/présence en tension émotionnelle, car « l’expérience de douleur partagée à travers les émotions qu’elle suscite, l’effraction de l’ordinaire affectif du jeune sont des moyens de rejoindre les autres. » (Le Breton, 2010).
Sur un autre aspect, la reconnaissance de l’adolescent comme sujet permet de restaurer l’estime de soi (et des autres) et autorise (Ardoino, 2000) ce dernier à faire lien et à composer avec le collectif. Le retour de ces jeunes dans une forme de réciprocité du lien à l’autre, aux autres, en permettant l’échange, le partage, la rencontre - c’est à dire la possibilité de s’identifier aux autres en prenant davantage en compte leurs sentiments - suppose de créer des circonstances (Deligny, 1998) suffisamment favorables pour qu’adviennent des possibles.
Dans ces institutions se retrouvent également des adolescents souffrants qui, faute de trouver un ancrage sur terre, choisissent de s’ancrer dans le ciel (Benslama, 2016) en préférant notamment les formes de solidarités que des espaces religieux (extrêmes) proposent, (ceux-là mêmes qui les invitent par exemple à participer à des « actions humanitaires » en rejoignant une communauté de croyants (en Syrie ou ailleurs)). Cela suppose qu’un travail d’amarrage de ces derniers à la communauté nationale soit réalisé dans cette séquence de prise en charge qui s’apparente souvent à une pause, un arrêt, une aire d’apaisement. La solidarité suggère en effet l’intégration des individus au système social auquel ils appartiennent et se confrontent parfois. Et c’est bien par l’assimilation – directe ou indirecte – aux mondes qui les entourent, que ce type de dessein peut être combattu.
C’est par ailleurs dans le délitement du lien social dans un contexte d’inégalités que se formalisent certaines figures de l’errance (des errances psychiques aux errances sociales) (Touil-Veyrié, 2016), favorisant ainsi des formes de vulnérabilité du même ordre. Pour ces raisons, des éducateurs-navigateurs tricotent du lien, restaurent des empathies abimées et jettent des passerelles entre leurs mondes internes et le monde des autres (ceux qui sont perçus comme un obstacle ou comme un moyen). Le principe de solidarité repose donc sur la capacité des professionnels à travailler l’acquisition de compétences relationnelles, afin que ces adolescents puissent rejoindre l’espace social qu’ils défient ou attaquent parfois. Quelques vignettes cliniques viendront étayer et illustrer cette solidarité en actes qui permet de juguler le sentiment d’injustice, de « rage » (Marcelli, 2016), de haine chez des adolescents fragilisés.
Mots clés :
Solidarité, Lien social, Vivre ensemble, Adolescents "délinquants"
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