Hôpital psychiatrique ou asile de pauvres ? Solidarité sous contrainte et manques de solidarité familiale
Année : 2017
Thème : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...
Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...
Auteur(s) :
BORZIN Aurica (Moldavie) – aurelia.borzin@gmail.com
Résumé :
Le sujet que je voudrais développer dans le cadre du 7ème Congrès de l'AIFRIS, Solidarités en questions et en actes: quelles recompositions?, est lié à ma recherche doctorale qui porte sur l’adaptation des patients de L’Hôpital Psychiatrique de Chisinau (République de Moldavie) aux contraintes institutionnelles et sociétales.
Les 55 entretiens approfondis semi-directifs que j’ai réalisés jusqu’en ce moment avec des patients de l’Hôpital psychiatrique de Chisinau m’ont révélé, à une première analyse, que la grande majorité de mes répondant-e-s provenaient de familles pauvres, voire vulnérables. A partir de cet indice, on pourrait émettre l’hypothèse que certains facteurs sociaux influenceraient certaines maladies mentales (Demailly, 2011). La population vulnérable du point du vue socio-économique, étant plus exposée à la précarité et aux tensions, seraient aussi en situation de risque accru de déclenchement et/ou d’aggravation de certaines maladies ou troubles mentaux. Les facteurs sociaux ne sont pas pourtant les seuls éléments de l’étiologie des maladies mentales (APA, 1994). La question qui s’impose alors est la suivante : où sont traitées les personnes souffrant de maladies ou troubles mentaux, provenant de groupes sociaux relativement aisés? Aussi, quels sont les mécanismes qui contribuent à cette ségrégation sociale des patients psychiatriques ?
Certains employé(e)s de l’hôpital nous ont avoué, sous réserve de confidentialité, qu’ils/ elles avaient soigné en secret des personnes de familles aisées. Certains éléments laissent à penser que l’institution même contribue à ce mécanisme de sélection sur le critère de classe (et de revenu) à cause des conditions d’internement et du modèle autoritaire de traitement des patients, mais aussi de la représentation fortement négative de l’hôpital psychiatrique au sein de la société et du risque de stigmatisation dont souffrent les patients traités à l’hôpital. Le traitement à l’hôpital psychiatrique est souvent perçu comme un élément qui affecterait l’image et le statut de la personne et de la famille au sein de la communauté d’origine, fait dont se plaint un certain nombre de répondants dans notre enquête. Les familles au revenu plus élevé ayant un membre souffrant de troubles psychiques évitent l’institutionnalisation. Elles cherchent donc des moyens de traitement alternatif. Ceci pour ne pas être enregistré dans la base des données centralisée des personnes au diagnostic psychiatrique. Les statistiques officielles n’enregistrent pas ces personnes. On ne peut donc pas savoir combien et qui sont-elles ?
Ce phénomène de ségrégation sociale du traitement psychiatrique, resté en partie invisible, nous invite à réfléchir sur les formes de solidarité extrinsèque de certaines familles, dans un contexte social de forte stigmatisation des patients psychiatriques. D’autre part, les patients provenant de milieux en précarité témoignent des faits de solidarité affaiblie de la part de leur famille. Ces derniers se sentent souvent abandonnés dans l’hôpital. Plusieurs membres de la famille des patients avouent aussi être motivés par l’ « indemnisation d’invalidité » dont les patients psychiatriques bénéficient à la suite de l’internement. De cette façon, l’hôpital psychiatrique reste une institution dont l’une des fonctions serait d’isoler certaines catégories de personnes inadaptées (et qualifiées d’inadaptables) au système et à la société modernes (Foucault, 1973 ; Bauman, 2004).
Les réformes démarrées récemment dans le système psychiatrique, notamment par l’ouverture de centres communautaires de santé mentale et la fermeture des effectifs des hôpitaux psychiatriques, sont de nature à affecter ce mécanisme de ségrégation sociale du traitement psychiatrique.
Mots clés :
Santé mentale, Institution, Solidarité
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