Les effets ambivalents de la solidarité économique dans le processus d’endettement problématique
Année : 2017
Thème : Illustration par une recherche menée en Suisse
Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...
Auteur(s) :
HENCHOZ CAROLINE (Suisse) – carohench@gmail.com
COSTE Tristan (Suisse)
Résumé :
S’appuyant sur plus de 40 entretiens approfondis menés en Suisse francophone dans le cadre d’une recherche pluriméthodologique financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (2015-2018), cette contribution discute des effets ambivalents de la solidarité économique sur le parcours de personnes qui sont/ont été en situation d’endettement problématique ou surendettées ; c’est-à-dire dont les ressources existantes et attendues sont durablement insuffisantes pour répondre à leurs engagements financiers sans diminution de leurs standards de vie (European Commission, 2008).
Nous comprenons la solidarité économique comme un lien volontaire ou non d’interdépendance financière (Blais, 2008) unissant les personnes (sur)endettées à d’autres. Nous montrons qu’elle n’est pas seulement un facteur de soutien et de protection comme cela est communément admis (cf. Paugam, 2007; Paugam & Zoyem, 1997), elle peut parfois aussi contribuer à accentuer les difficultés financières. En ce sens, il nous parait central d’isoler les conceptions de la solidarité économique qui interfèrent sur le parcours d’endettement problématique et d’en évaluer les effets de manière à suggérer des interventions qui soient aussi adéquates que possible. Nous relevons les effets ambivalents de trois d’entre elles :
1.La solidarité économique juridiquement imposée signifie, dans le droit suisse, une solidarité entre le débiteur, son conjoint et ses enfants, notamment en ce qui concerne le paiement des assurances maladie obligatoires. A leur majorité, les enfants sont responsables des primes impayées et risquent ainsi d’être poursuivis pour des dettes qu’ils n’ont pas contractées eux-mêmes (Commission technique des juristes des Centres sociaux protestants, 2003).
2.La solidarité économique dans l’intervention sociale conduit notamment les services spécialisés qui traitent de la gestion des dettes et du désendettement à considérer le ménage comme une seule unité économique. Cela implique des limites compromettant parfois les mesures mises en œuvre. La première est la nécessaire mise en commun des revenus et dépenses des membres du ménage et l’adhésion du partenaire au programme mis en place. Or le débiteur n’est pas forcément informé des revenus et dépenses de son conjoint et il ne tient pas nécessairement à partager ses propres informations (Henchoz, 2008). La seconde est liée au cadre de la solidarité financière qui, excepté pour les pensions alimentaires, est généralement limitée au ménage. Cela permet, par ex., difficilement d’intégrer dans les budgets d’assainissement des charges comme celles des familles transnationales (World Bank Group, 2016 : 14) qui ne peuvent réduire/cesser l’aide qu’elles versent aux proches du pays d’origine sans de lourdes conséquences.
3.La conception de la solidarité économique par la personne endettée elle-même peut également favoriser le (sur)endettement. Ainsi, les femmes semblent s’endetter davantage par solidarité conjugale. De leur côté, les jeunes, par souci de préserver une autonomie nouvellement acquise, refusent parfois très longtemps de recourir au réseau familial pour surmonter leurs difficultés financières (Henchoz & Coste, 2017). Généralement, la honte est un facteur central justifiant le non recours à la solidarité financière de proches, quand bien même cette dernière, une fois mobilisée, peut contribuer à favoriser la gestion de l’endettement ou sa sortie (Henchoz & Coste, 2017).
Ces formes de solidarité vont dans le sens d’une collectivisation de la responsabilité visant à limiter les conséquences de comportements économiques individuels (Blais, 2008 : 53). Elles peuvent être bénéfiques lorsqu’elles permettent d’assainir une situation économique difficile, mais en conduisant les individus à assumer des responsabilités financières non sollicitées, elles vont parfois aussi à l’encontre d’une autre conception de la solidarité axée sur la garantie des droits de chacun (Blais, 2008 : 53).
Mots clés :
Solidarité, Intervention sociale et travail social, Pauvreté, Endettement
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