Wantier Bénédicte (Belgique) – benedicte.wantier@heh.be

Le métier d’éducateur spécialisé a pour centre de gravité la relation à une personne. L’analyse des écrits professionnels est une voie pour découvrir comment ces travailleurs sociaux se situent dans cette relation : certaines pratiques tendent à les éloigner du « sujet », d’autres à les en rapprocher. Ces écrits dévoilent également comment ils se rassemblent ou se désolidarisent, traversés tantôt par un souci d’efficacité (gagner du temps en créant des dispositifs d’écriture préétablis), tantôt par des demandes d’objectivation des pratiques (conception de grilles d’observation, d’évaluation), ou encore, mus par la volonté de se positionner dans le champ professionnel. Leur posture discursive reflète leur posture professionnelle, posture qui commence à se construire dès la formation.
Comment former aux écrits professionnels ? Comment développer le sens de la responsabilité ? Comment apprendre à se réapproprier l’acte d’écrire comme un pouvoir ?
La didactique doit tenir compte tout d’abord des spécificités de ces écrits. Ils cristallisent des tensions entre, d’une part, cohérence, sens des actes, identité, légitimité professionnelle et, d’autre part, routines, standardisation, hégémonie des processus qualité et logiques de contrôle (Rouzel, 2005 ; Delcambre, 2006 ; Cambon, 2006 ; Rousseau, 2007).
Ensuite, il s’agit, en tant que formateur, de prendre position. L’appropriation des écrits professionnels s’inscrit en effet entre, d’une part, l’héritage de l’histoire d’une formation à ce métier, la logique des compétences, les approches mécanistes et, d’autre part, la perspective de la construction d’une posture discursive responsable, éthique et critique.
Intégrer le concept de solidarité, au sens du lien, de la responsabilité collective, de l’engagement réciproque (Soulet, 2004) comme fondement « solide » au cœur du processus d’apprentissage est un choix possible dans le travail de transmission. Il contrebalance le caractère flottant des savoirs de la profession, qui semble en constituer par ailleurs l’essence (Dartiguenave et Foucart, 2008).
Au départ d’un corpus de productions, la présentation illustrera de quelles manières la didactique soutient chez les étudiants un questionnement autour de trois dimensions du concept de solidarité, dans un rapport allant de l’individuel au collectif :
•Le lien entre les professionnels (intra et extra-institutionnel)
Comment les injonctions de l’écrit, les commandes contribuent-elles au délitement du lien entre les travailleurs (décomposition des solidarités, individualisation) et comment recréer du lien entre eux (recomposition et re-collectivisation) ? Comparaison de deux écrits d’éducateurs à propos d’une même personne rédigés pour un commanditaire.
•Le lien bénéficiaire-professionnels
Comment les manières d’élaborer l’écrit contribuent-elles à soutenir le rapport à une personne, à un sujet, dans un processus de reconnaissance, et se défient-elles de la réification (Honneth, 2005) ? Quelques illustrations autour de la notion de projet de vie chez les personnes âgées et des échelles d’évaluation des compétences sociales dans l’accueil des mineurs isolés étrangers. Propositions de modifications des pratiques d’écriture développées par des étudiants.
•Le lien bénéficiaire-professionnels-société
Comment instituer l’écrit comme fondement d’une épistémologie de la formation, vecteur de la reconnaissance d’un métier et comme outil de lutte solidaire contre l’invisibilité sociale ? Quelques propositions.
Quelques pistes et enjeux pour la formation seront enfin mis en perspective, pour préciser notamment la posture du formateur, souligner l’intérêt de fédérer les pratiques face aux défis du travail social et dessiner les contours de l’éducatif en tant que registre de production de la solidarité (Soulet, 2004).
Le concept de solidarité participe d’une acculturation aux vecteurs des reconfigurations des pratiques professionnelles, l’écriture peut en être un moyen privilégié.

Culture professionnelle, Lien social, Formation