GREISSLER Elisabeth (Canada) – elisabeth.greissler@umontreal.ca

Longtemps ancré dans des représentations sociales stigmatisantes, l’engagement des jeunes dits « en difficulté » est encore trop souvent analysé sous l’angle de l’apathie ou de la violence dans l’espace public (Mahéo, Dejaeghere et Stolle, 2012; Muxel, 2010; Dupuis-Déri, 2004). C’est en quelque sorte l’un des angles morts de la recherche en sciences sociales. D’ailleurs, les politiques publiques à l’endroit des jeunes, sans doute influencées par ces représentations, se sont récemment saisies de la question de la participation citoyenne (Pelchat, 2010), avec comme motifs la réinsertion ou la resocialisation des jeunes identifiés en difficulté et plus précisément la prévention de l’exclusion sociale (Bessant, 2004 ; Loncle, 2003). Si les analyses des mobilisations de « précaires » nous permettent de comprendre par exemple le rôle de soutiens extérieurs dans l’organisation de la mobilisation, ou le contournement du manque de ressources pour s’engager, aucune étude n’aborde ces questions pour les jeunes proprement dits (Boumaza et Hamman, 2007; Chabanet, Dufour, et Royall, 2012; Maurer et Pierru, 2001; entre autres). Ce n’est que récemment qu’un regain d’intérêt pour les rapports « profanes » au politique ont permis de mettre au jour certaines formes d’engagement moins visibles parce que davantage incarnées dans les modes de vie (Buton, Lehingue, Mariot et Rozier, 2016). <br /><br />S’intéresser aux « arrières-scènes » participatives (Breviglieri et Gaudet, 2014) nous propulse en fait dans des interstices d’engagement, dans des espaces invisibles, intimes (Greissler, 2014a). On découvre ainsi à la fois des formes d’opposition discrète, de rejet des institutions ou des adultes, transformées en solidarité pour sa propre communauté. Au-delà des formes d’engagement prescrites par les institutions, au nom d'une certaine conception du vivre-ensemble, des jeunes développent des prises de position dans l’espace public à la fois très protestataires et silencieuses. Plutôt que de s’opposer au vivre-ensemble, ces formes d’engagement participent à remettre en question certains de ses contours et nous verrons comment et pourquoi dans le cadre de cette communication. <br /><br />Nous prendrons appui sur les résultats d’une recherche sur l’engagement de jeunes en situation de marginalité (Greissler, 2014b). Des focus groupes dans des milieux de vie (ressources en hébergement ou centre de jour), nous ont permis de documenter convictions, représentations sociales, idéologies, valeurs et participation à des actions collectives. Les résultats révèlent que l’engagement - ou le non engagement - est tout autant idéologique, social et culturel que politique. Cette étude compréhensive apporte, en effet, des éléments de réflexion sur le rapport à soi, au monde et au politique des jeunes dits « en difficulté ». Notre démarche de recherche contribue également à interroger les pratiques de mobilisation au sein de milieux de vie pour jeunes identifiés en difficulté.<br /><br />Une analyse secondaire de ces données nous mènera à comprendre certaines de ces prises de position comme des expériences quotidiennes du vivre-ensemble à partir d’arrières-scènes : appartenances sociales; définition de sa place dans l’espace public; rapport aux autres; rapport aux institutions; rapport à soi; effets de l’engagement. Dans le cadre de cette communication, nous nous intéresserons plus particulièrement aux conceptions du vivre-ensemble qui entourent l’engagement de jeunes identifiés comme étant en difficulté. Explorant les arrière-scènes participatives, nous tenterons de mieux comprendre ce qu’elles révèlent comme regard critique sur la norme dominante du vivre-ensemble. <br />

Action communautaire, Citoyenneté, Jeunes "en difficulté"