« Réformer les jardins familiaux »

Année : 2010

Thème : un espace objet de malentendus entre catégories populaires et régulateurs urbains

Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...

Auteur(s) :

FRAUENFELDER Arnaud (Suisse) – Arnaud.Frauenfelder@hesge.ch
SCALAMBRIN Laure (Suisse) – laure.scalambrin@eesp.ch

Résumé :

On sait que les jardins familiaux, qu’on appelait autrefois « ouvriers », représentent un dispositif de régulation sociale des populations qui trouvent son origine dans les mutations provoquées par l’évolution industrielle à la fin du 19e siècle. La création des jardins familiaux s’intégrait dans un dispositif philanthropique visant à « fixer » des populations mobiles et déracinées « sans feu ni lieu », ouvriers d’origine agricole, émigrés de leur région ou de leur pays. Depuis leur émergence, les fonctions attribuées aux jardins n’ont cessé d’évoluer selon les contextes économiques, politiques et sociaux. Initialement et jusque dans les années 1950, les jardins familiaux ont été liés à des préoccupations hygiéniques (le grand air contre les miasmes), diététiques (les légumes contre l’alcool), économiques (un passe-temps qui rapporte), politiques et morales (un groupe de familles ouvrières contre un groupe d’hommes ouvriers) (Weber, 1998 : 62). Depuis les années 1980, ils sont associés dans tout un ensemble de discours officiels d’obédience réformatrice à des préoccupations urbanistiques et écologiques (ils sont aujourd’hui une des composantes des « espaces verts ») (DAT, 2006), qui conjuguent aussi parfois souci esthétique et actions de réinsertions sociale.

Cette contribution entend mettre en lumière certains des malentendus actuels pouvant se nouer à l’occasion des réformes en cours entre différents acteurs impliqués (usagers, fédération et réformateurs urbains) à partir d’une enquête sociologique menée à Genève. On peut penser que cette réforme fait l’objet de tensions diverses au sujet de la vision et des usages des jardins : du côté des réformateurs se manifeste notamment le souci écologique d’inscrire les jardins dans une logique de « développement durable », une volonté de « rationalisation » de l’espace urbain (parcelles de taille plus petite et sans cabanons), ou encore le souci de favoriser le développement social « local » ainsi que les « solidarités de proximité ». Du côté des usagers, on reste attaché à un loisir « utile » qui suppose un espace conséquent réservé à la culture potagère mais aussi au cabanon pouvant s’apparenter à un espace de séjour voire une résidence de fortune (avec mobilier, barbecue, etc.). Ces tensions sont encore exacerbées par la mise en œuvre contemporaine de divers projets concernant la nécessaire dé et relocalisation de certains sites. Le matériau empirique de l’enquête a été réuni à l’aide de trois méthodes : entretiens, observations ethnographiques et recherche documentaire.

Tout d’abord, nous restituerons les usages divers dont cet espace fait l’objet (pratiques d’autoconsommation alimentaire, morale de l’activité, relations d’échanges entre usagers, rapport à la « propriété ») et qui représente un terrain d’investigation scientifique particulièrement éclairant de la vie privée de catégories populaires. Puis, nous nous attacherons à décrire les points de vue des réformateurs urbains (État, architecte, paysagiste, travailleur social, politiciens) engagés autour de la nouvelle conception du jardin familial. Enfin, il s’agira de bien saisir et situer socialement les divers points de vue, arguments et prises de positions convergents et divergents des acteurs (usagers, fédération et réformateurs) sur la question des usages des jardins actuels et « à promouvoir » et la manière dont ils peuvent s’ancrer dans des politiques d’aménagement du territoire. Tout porte à croire que le projet d’une « nouvelle structure de jardins familiaux » et la recherche d’un « nouveau modèle d’intégration paysagère » (DAT, 2006) cache en vérité des enjeux sociaux complexes et controversés et mérite un regard distancié soucieux de restituer pleinement la complexité des réalités sociales en jeu. On entend par là contribuer aux réflexions contemporaines sur l’urbanité et son devenir et d’interroger les nouvelles formes d’institutionnalisation de la question sociale.

Mots clés :

Traitement social, Vivre ensemble, Territorialisation, jardins familiaux, question sociale, classes populaires

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