Médecins Sans Frontières : entre intégration et rejet par les populations locales
Année : 2019
Thème : Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...
Type : Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...
Auteur(s) :
JOXE LUDOVIC (France) – ludovic.joxe@gmail.com
Résumé :
Si l'on considère l'activité humanitaire internationale comme une action sociale, c'est en même temps celle au travers de laquelle les enjeux identitaires et les questions d'intégration ou de rejet sont peut-être les plus criants. Avec des travailleurs dits « expatriés » qui viennent du monde entier (139 pays différents en 2014), de niveaux d’éducation hétérogènes et de classes sociales variées, sur des terrains d’intervention multiples, parfois au Nord, parfois au Sud, parfois en ville, parfois en brousse, les problématiques propres à tout travail social y semblent exacerbées.<br /><br />S’appuyant sur une cinquantaine d’entretiens et une observation participante sur dix missions humanitaires dont neuf avec Médecins Sans Frontières (MSF) et une avec ALIMA, cette communication expose les limites pratiques du vivre-ensemble dans le cas du travail humanitaire.<br /><br />Les expatriés sont d’abord soumis à des règles de sécurité parfois si strictes qu’elles les coupent de la population locale. Ils vivent souvent dans des résidences sécurisées qui fragilisent la possibilité de vivre ensemble. « La construction de murs surmontés de barbelés ou la réduction des mouvements de personnels peuvent certes protéger, mais elles éloignent aussi les humanitaires des bénéficiaires et peuvent miner l’acceptation » (Vinhas 2014, 76). La mission MSF devient une « institution totale » au sens d’Erving Goffman, c’est-à-dire « un lieu de résidence et de travail où un grand nombre d’individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées » (Goffman 1968, 41).<br /><br />Les expatriés viennent ensuite parfois avec l’idée que la mission de l’organisation est juste et supérieure aux débats partisans locaux. Pourtant, les interactions quotidiennes avec la population, les patients ou les autorités, montrent que ce point de vue n’est pas nécessairement partagé. Dans les cas les plus extrêmes, les centres de traitement sont brûlés (comme lors de la crise Ebola de 2014) (Fribault 2015; Hofman et Au 2017), les bureaux sont braqués (sur de nombreux terrains), l’organisation attaquée en justice (dans quasiment tous les pays où MSF intervient), les équipes surveillées par les services secrets (au Pakistan ou en Ukraine) ou les activités interdites (en Éthiopie ou en Syrie).<br /><br />Dans les situations où l’acceptation semble plus aisée, MSF reste cependant un objet dont les différentes parties prenantes se saisissent pour faire valoir leurs propres intérêts. Certains responsables politiques locaux voient en MSF la possibilité de se vanter de résultats médicaux ou du dynamisme de l’emploi, de pointer du doigt la faiblesse de leurs adversaires.<br /><br />Dans un secteur professionnel dont le cœur de l’activité est fondamentalement marqué du sceau de l’incertitude (les organisations humanitaires interviennent en priorité sur les zones qu’elles jugent être en crise), les enjeux de pouvoir y sont renforcés. En effet, le pouvoir se logeant dans les « zones d’incertitude » (Friedberg 1972, 40), il est d’autant plus fort entre les différentes parties prenantes du secteur humanitaire.<br /><br />Cette communication propose finalement de réfléchir sur les contextes dans lesquels l’action humanitaire est la mieux acceptée et d’essayer de dégager les possibilités d’existence du vivre-ensemble, en particulier dans un monde incertain (Paugam 2015).
Mots clés :
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