La médiation de la parole des adolescents dans un contexte de placement : quand endosser le rôle de passeur révèle des dilemmes éthiques

Année : 2019

Thème : Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...

Type : Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...

Auteur(s) :

GOLAY Dominique (Suisse) – dominique.golay@eesp.ch
UDRESSY Olivier (Suisse) – olivier.udressy@eesp.ch

Résumé :

Le passeur est tout à la fois celui qui passe et celui qui fait passer (Thériault & Bilge, 2010). Dans cette deuxième acception du terme, le passeur a un rôle de médiateur entre deux espaces, entre deux institutions, entre deux groupes et/ou entre deux individus. Si la figure du passeur a surtout été mobilisée dans le registre de l’action politique ou culturelle, en regard des groupes minorisés et de leur accès à la parole publique (Spivak, 1988 ; Brun & Galonnier, 2016), elle sera utilisée, ici, par analogie afin d’analyser les enjeux relatifs à la médiation de la parole des mineurs en contexte de placement. L’éducateur endosse un rôle de passeur dans la mesure où il se fait le porte-parole des enfants et des adolescents, notamment, dans le cadre des réseaux de professionnels impliqués dans le suivi et l’accompagnement des mineurs et de leur famille. Or, cette position de porte-parole s’inscrit dans des rapports de pouvoir conférant une légitimité aux éducateurs et les autorisant à parler sur et au nom des enfants et des adolescents qu’ils accompagnent. En d’autres termes, parler au nom d’autrui relève d’un privilège lié au statut, en l’occurrence professionnel, et tend à marquer, voire à renforcer les inégalités (Alcoff, 1991-1992). Dès lors, le rôle de passeur ou de médiateur engage une responsabilité et soulève, également, des dilemmes éthiques.<br /><br />Outre le statut de celui qui se fait porte-parole, ce rôle intermédiaire est aussi un rôle de représentation configurant les identités. En effet, sur qui et au nom de qui le professionnel parle rend manifeste la séparation eux/nous et la hiérarchie sociale. C’est bien parce que les mineurs n’ont pas accès à la parole publique et/ou qu’ils ne sont pas reconnus comme des interlocuteurs valables que les professionnels discutent à propos d’eux et se font les messagers, voire les avocats, de leurs points de vue. Or, le rôle de porte-parole est socialement situé et la neutralité n’est donc ni possible, ni envisageable. Sous cet aspect, la coordination de l’action qu’il suppose et les conséquences qui y sont associées sont à prendre en considération dès lors qu’un professionnel s’engage au nom d’autrui. En effet, l’interprétation de la parole d’autrui ainsi que la réception qui en sera faite, à l’interne ou à l’externe de l’institution, sont tributaires du contexte et appellent des jugements et des décisions. Dans ce sens, la médiation de la parole des mineurs n’est pas sans conséquences pour eux ou pour leur famille.<br /><br />Les enjeux relatifs au rôle de passeur se posent avec d’autant plus d’acuité que les réformes des systèmes de protection de l’enfance, en Suisse romande, ont introduit une prise en compte accrue des exigences et des droits des usagers. Ce principe va de pair avec la reconnaissance des individus comme sujets et met en exergue la volonté politique de promouvoir le partenariat et la participation. Dans ce contexte de valorisation de la participation, la figure du passeur, en tant que porte-parole de ceux qui sont potentiellement « sans voix », pose problème dans le sens où elle questionne l’idéal d’autonomie associé au sujet. A quelles conditions et avec quelles conséquences les professionnels peuvent-ils encore endosser un rôle de porte-parole ?<br /><br />Partant de huit entretiens collectifs menés dans un foyer éducatif, dont quatre avec des enfants et des adolescents et quatre avec des professionnels, nous proposons, dans cette communication, de rediscuter du rôle de passeur à l’aune des enjeux relatifs à la médiation de la parole des mineurs. La conscience du travail d’interprétation des propos des mineurs inhérent au rôle de médiateur, d’une part, et l’appréhension des conséquences y relatives, d’autre part, constituent-elles un frein à l’action ? Autrement dit, la valorisation de la participation des enfants et des adolescents a-t-elle pour corollaire une réticence, voire un retrait des professionnels, face à leur rôle de porte-parole ?<br />

Mots clés :


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