Subvertir "l'ordre du discours": soutenir l'émergence de la parole de ceux qui en sont ordinairement exclus, par leur engagement dans les activités de recherche et la formation en travail social.
Année : 2021
Thème : Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...
Type : Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...
Auteur(s) :
PROUVEZ valentine (France) – valentine.prouvez@gmail.com
Résumé :
La définition de la participation des personnes accompagnées (« ou l’ayant été ») comme visée prioritaire ne date pas d’hier. Mais si ce thème insiste, il est pourtant frappant de constater que c’est plus souvent sous la forme du regret de l’absence de cette participation que par le constat de son effectivité que nous revient cette préoccupation. Cela est particulièrement manifeste pour les publics dits « désocialisés », « en situation d’exclusion », « invisibles » ou encore « marginaux » : cette absence « brille » encore aujourd’hui (et sans doute de façon d’autant plus remarquable) dans les Conseils de Vie sociale, les publications des revues en travail social, les instances de formation et journées d’études. Comment comprendre ce silence ?<br />Nous percevons ici une logique de répétition : lorsqu’on les appelle à prendre parole, à participer, ceux qui en sont ordinairement privés se signifient le plus souvent par leur absence. N’est-ce pas là une réponse déterminée par la formulation même de notre question/invitation, relativement à ce que Foucault appelle « l’ordre du discours » ? Mes recherches me portent à considérer cette « non-parole » en tant que parole, et à interroger la question de « l’invisibilité » dans son rapport au discours et à la norme. Mes analyses se soutiennent des conceptions de Canguilhem, de Foucault, de Lacan, et intègrent cette réflexion souvent peu considérée dans l’essai pourtant classique de Goffman, Stigmate, selon laquelle même dans la logique de ce qu’il nomme « l’assistance sociale » les solutions préconisées sont mises en forme par le discours social et en référence au « groupe d’appartenance » de la personne au sein d’un ordre social (celui-ci intégrant également son stigmate), ceci impliquant que l’adresse du travailleur social « épingle » la personne en tant que « bénéficiaire » et véhicule un performatif d’exclusion. Cette analyse nous offre une direction permettant de mieux comprendre pourquoi, du point de vue de nombreuses personnes que nous avons pu rencontrer dans les squats, à la rue ou dans les foyers d’hébergement, l’exclusion commencerait véritablement et paradoxalement à ce moment où la personne est « prise en charge » au sein des institutions.<br />A l’appui des expériences de participation que nous conduisons depuis plusieurs années avec des personnes que l’on décrit souvent comme « méfiantes », « difficilement approchables », « peu enclines » à la prise de parole, nous souhaiterions contribuer à une réflexion portant sur le cadre et les conditions (en particulier éthiques) permettant le dépassement de la logique excluante de cet « ordre du discours », et l’affirmation pour ces personnes d’un désir de « témoignage » et de contribution à un déplacement des représentations psychosociales. Nous nous appuierons notamment sur l’expérience de la publication d’un livre, Nomades (paru en 2021), réalisé avec des personnes vivant à la rue et en squats, et évoquerons les perspectives que celle-ci est venue ouvrir: intervention des auteurs lors de cours, de rencontres, de journées d’études, invitation des étudiants à les rencontrer et à échanger avec eux depuis leur espace de vie (en squat)…. Et de la réalisation actuelle d’un ouvrage soutenant la prise de parole de femmes ayant connu (ou connaissant encore) « l’invisibilité » par le fait d’avoir subi des violences, de vivre à la rue, en squats ou en foyers d’hébergement, ou encore de « pratiques » induisant un effet social de stigmatisation (consommation de substances psychoactives, prostitution…)… Nous décrirons et analyserons différentes expériences de participation (communications, expositions…) conduites par ces personnes dans l’espace d’un centre de formation en travail social, et tenterons d’éclairer les éléments ayant alors soutenu (ou freiné) cette ouverture à la rencontre, cette ouverture du discours, et à travers elle de nouveaux possibles.<br />
Mots clés :
Exclusion, Participation, Éthique et déontologie
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