PDF FR

La qualification des publics du travail social, au regard du dispositif de signalement de l’enfance en danger

Année : 2010

Thème : entre misérabilisme des classes dangereuses et sollicitude des personnes vulnérables

Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...

Auteur(s) :

TARDIF Julien (France) – Julientardif.france@gmail.com

Résumé :


Nous nous intéresserons au dispositif juridique du « signalement » en action sociale, à partir de la question de la maltraitance. Pour lutter contre ce problème social, une nouvelle norme s’est imposée, la bientraitance : les approches dispositionnelles et structuralistes la perçoivent comme un « ethos de classe moyenne » qui « s’universalise » en oubliant ses « conditions de possibilité » politiques et sociales de réalisation et d’extension au delà du « champ » où elle a pris forme (Bourdieu, 1994). Un effet de domination sur les classes populaires serait alors dénoncé selon la formule de Howard Becker comme une « entreprise morale » (Becker, 1963) qui « criminalise les pauvres » ou tout au moins qui réduit leur marge d’autonomie dans la production-valorisation en matière de savoir-faire éducatifs (Donzelot, 1977). Jacques Donzelot lui-même est revenu sur cette posture, en soulignant sa trop forte tendance à interpréter le travail institutionnel de prise en charge des bénéficiaires de l’action sociale, comme une « police et normalisation des comportements » (Donzelot, 2003).

Nous défendrons à l’appui de l’approche pragmatique des politiques publiques (Cantelli, Génard, 2007, Cantelli, Roca I Escoda, Pataroni, Stavo Debauge, 2009 ; Tardif, Felix, 2010) une lecture de l’action sociale qui analyse les aspects moraux des processus de qualification et qui traite directement les questions de la vulnérabilité et de la souffrance (Chauvière 2002, Ravon, 2006, Renault, 2008, Le Blanc, 2006, 2009, Cultiaux, Perilleux, 2009, Laval, 2009, Fassin, 2010) comme ayant non seulement redéfinies la question sociale et sanitaire contemporaine dans les années 2000, mais également interroge à nouveaux frais les « savoirs ordinaires » des praticiens (Laugier, Gautier, 2006 ; Felix, Tardif, ibid.) et pas seulement la place des bénéficiaires de l’action éducative et de soin dans le dispositif social et médico-social (Chauvière, 2010).

Nous illustrerons cette perspective par une ethnographie prolongée et parfois participante en « analyse de pratique » où il s’agit explicitement pour les acteurs en présence (éducateurs, chefs de services, psychologue du service, sociologue du service) de statuer sur l’opportunité, l’urgence, d’activer une procédure de signalement pour enfant « en danger ». Nous les suivrons dans leurs jugements et argumentations et dans les dilemmes moraux rencontrés dans l’épreuve de la qualification des publics et de leur suivi.

Nous défendrons que ce travail de qualification de la maltraitance ne peut se réduire à une « taxinomie » des manques et déficiences, réduisant l’approche sociologique des processus de catégorisation à ses seuls aspects « prescriptifs » (Quéré 1995) ou à un simple emprunt à sa définition originelle en psychologie cognitive sans prise en compte de ce que produit le « social » sur le cerveau humain (Ogien, 2010). Une orientation que l’on pourrait qualifier de « praxéologique » (Fradin, Quéré, Widmer, 1994 ; Quéré Ibid.,), passe davantage par une visée pragmatique entendue comme une sociologie morale et cognitive (Conein, 2005), attentive à la réévaluation du poids des affects et du rôle des objets dans la coordination de l’action. Nous proposerons donc une sociologie des « régimes d’action », dont l’orientation morale est fortement assumée et revendiquée. Une sociologie qui fait de la bientraitance une forme de visée du « bien commun » en compromis entre une éthique de la justice et une éthique du care (Paperman, 2000, 2006) ; et faisant des acteurs professionnels de l’action sociale, des personnes douées de « compétences morales » (Lemieux, 2009). Nous nous placerons pour ce faire dans le dialogue actuel entre la sociologie des régimes d’engagement forgée par Laurent Thevenot (2006), Marc Breviglieri Luca Pattaroni et Joan Stavo Debauge (2003) et l’orientation récemment introduite en France, des travaux américains sur « l’Ethique du care ».


Mots clés :

Action publique, Responsabilité, Expertise sociale, signalement

← Retour à la liste des articles