PITARELLI Emilio (Suisse) – emilio.pitarelli@hevs.ch

Comment les bénéficiaires et les éducateurs vivent-ils leur relation ? Pour répondre à cette question, nous avons réalisé des entretiens semi-directifs auprès de trois éducateurs sociaux et trois bénéficiaires. Par ce biais, nous avons questionné les attentes des professionnels à l’égard des usagers, et leurs effets sur ces derniers.<br />Nos entretiens se sont focalisés sur trois émotions : la colère, la joie et la déception. Cette dernière émotion relève de la tristesse, liée à une attente particulière. Nous avons questionné le travail émotionnel (Hochschild, 2017) des éducateurs par le biais de ces trois émotions.<br />Par exemple, un éducateur nous a confié une situation inconfortable à laquelle il a été confrontée lors du départ d’un résident dans une institution davantage médicalisée pour y recevoir des soins. Le professionnel a vécu cette étape comme un moment difficile car il avait eu l’impression de n’être pas à la hauteur de la mission qui lui était confiée, craignant de décevoir et de ne pas répondre aux attentes de son employeur… presque un échec...<br /> <br />« Pour moi la déception, déception c’est par rapport à une attente… » (Educ2)<br /> <br />Dans cette situation, le professionnel dit devoir réguler son émotion pour éviter un effet délétère sur le bénéficiaire. En effet, face au sentiment d’échec de l’éducateur, le résident pourrait ici ressentir de la honte ou de la culpabilité à l’idée d’intégrer une structure davantage médicalisée, comme s’il n’avait pas répondu aux attentes des professionnels. De plus, lorsqu’une émotion ressentie par les professionnels ne correspond pas aux règles d’expressions émotionnelles prescrites par l’institution sociale, elle doit également être régulée (Mikolajczak, 2014).<br />Ce travail émotionnel peut provoquer une dissonance émotionnelle, c’est-à-dire que le professionnel est habité par un sentiment d’inauthenticité entre ce qu’il ressent et ce qu’il exprime (Virat & Lenzi, 2018). <br />Le champ du travail social est prescripteur d’émotions attendues. « Certaines sont assumées et justifiées en étant adossées à l’esprit de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Elles invitent à la compassion, la tolérance, l’égalité, la fraternité » (Laizeau & Galopin, 2020, pp. 85-86).<br /> <br />Ainsi, la déception, en tant que sentiment, va donc à l’encontre de ces règles d’affichage. L’interdiction d’exprimer voire de ressentir cette émotion au travail peut conduire l’éducateur à un décalage entre ce qu’il éprouve au plus profond de lui-même et ce qu’il devrait ressentir pour correspondre à ces règles de sentiment (Hochschild, 2017).<br /> <br />Une usagère nous a confié une situation où elle-même a ressenti de la déception de la part d’une éducatrice.<br />« Des fois il y a des regards que j’ai peut-être tendance à interpréter par exemple pas si tard qu’avant-hier j’ai été éméchée à l’alcool pis y avait normalement un colloque avec tous les résidents et pis une partie des éducateurs et pis j’ai pas pu participer parce qu’il faut éviter de se montrer quand on est pas… » (Bénéf1)<br /> <br />À la question suivante : « comment avez-vous senti qu’elle était déçue ? »<br />[…] Je me sentais déjà un peu honteuse comme ça à sentir que je marchais pas droit pis ben c’est… et j’ai ressenti ça du fait que ben clairement j’ai quand même vu que le rapport était un peu inhabituel. C’était pas verbal mais ça jouait beaucoup sur le non-verbal. (Bénéf1)<br /> <br />Si l’attente est parfois porteuse d’espoir, on le voit ici, elle engendre aussi de la déception voire du ressentiment… Comment sont vécues ces attentes de la part des bénéficiaires ? Et des professionnels ?<br />

Acteurs, Intervention sociale et travail social, Analyse de discours, Attente