STORTZ Françoise (France) – f.stortz@issm.asso.fr

Il y a déjà quelques années, les sociologues Christian Backmann et Nicole Le Guennec dans leur livre « Autopsie d’une émeute » (Editions Albin Michel, 1997), constataient que le vide social ne reste pas une terre vierge bien longtemps. J’allais encore le constater.
Dans cet appel à contribution, je me propose d’étudier les échanges d’argent formalisés entre jeunes de quartiers populaires de l’Est de la France qui ont réactivé, à leur manière, les systèmes des tontines qui fonctionnaient au siècle dernier dans les milieux populaires ou qui existent encore chez les migrants.

Quelle ne fut pas ma surprise, alors que nous parlions des retraites et du mouvement social, de voir un étudiant de ma classe se lever, à la pause, et venir m’expliquer le système qu’ils avaient trouvé avec des camarades pour pouvoir avoir de l’argent sans être obligés de faire des emprunts, qui leur seraient sans doute refusés vu leur situation d’étudiant. Nous organisons « un cercle », et chacun met de l’argent pour que tous puissent en bénéficier.
Il a insisté sur le caractère légal de ses échanges, qui ne sont en aucun cas des « trafics » mais bien des échanges d’argent où « chacun s’y retrouve ».
J’avais déjà eu l’occasion de participer à des réunions où des femmes africaines se rencontrent, et de la même manière, se prêtent de l’argent pour financer les projets de l’une ou de l’autre, ou les voyages pour aller dans leur pays pendant les vacances.

Avant la mise en place du RMI, Jean François Laé et Numa Murard avaient écrit un livre intitulé : « L’argent des pauvres » où ils questionnaient le rapport à l’argent et aux travailleurs sociaux des personnes vivants dans « un quartier d’exil », pour reprendre l’expression de François Dubet et de Didier Lapeyronnie. La littérature sociologique revient régulièrement sur cette manière « de faire société » et de trouver des réponses sociales quand justement le marché et/ou l’État font défaut. Ses thèmes sont régulièrement traités dans les revues du M.A.U.S.S (Le mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales) dirigé par Alain Caillé entre autre. Les travailleurs sociaux connaissent bien les fonctionnements des « Sels », ces systèmes d’échanges locaux entre citoyens permettant la circulation de services et de biens dans un groupe donné. Les actions collectives mises en place sur le terrain les valorisent souvent, et à juste titre.
On échange des biens et des services, certes, mais l’argent manque toujours…

Ses « cercles » mis en place par les jeunes et les étudiants des quartiers populaires, méritent à mon avis, d’être étudiés de plus près, car ils sont un moyen de résistance à la crise et au manque d’argent. Ils sont vraiment une expression de « La société contre l’État » pour reprendre le titre d’un célèbre livre de Pierre Clastres. Quelles formes de capitaux, pour parler comme Pierre Bourdieu, les membres de ses « cercles » doivent-ils valoriser ? Un peu d’argent, mais surtout des relations sociales, familiales amicales, et ils doivent être fidèles à ce système d’échanges d’argent. Même si le but recherché est le gain d’argent, si nous ne sommes pas dans des relations de dons contre dons, ses « cercles » demandent une certaine réciprocité de la part des jeunes.
Ils ne participent pas au marché, échappent au contrôle de l’État, mais également au contrôle des travailleurs sociaux. Pourtant ils sont bien un lieu de résistance à la précarité et une expression de résistance de la société civile.

Je me propose d’approfondir cette enquête sur la connaissance et le fonctionnement des « cercles » de jeunes et d’étudiants. Quels sont ses membres ? Quels sont les projets des étudiants et des jeunes ? Quels liens peuvent-ils avoir avec les travailleurs sociaux ?

Société civile, Solidarité de proximité, Revitalisation des quartiers en crise