MATTA Houwayda (Liban) – houwayda.bouramia@usj.edu.lb
KHOURY Jamilé (Liban) – jamile.khoury@usj.edu.lb

Malgré les avancées réalisées dans la protection de l’enfance au Liban, la maltraitance infantile demeure un problème important de santé publique qui affecte foncièrement le droit et le développement d’un nombre non négligeable d’enfants (El Jardali, Abou Samra, & Hilal, 2018 ; Himaya, 2019 ; Unicef, 2016 ; Usta, Farver, & Danachi, 2013; World Vision, 2019). Parmi les interventions de lutte contre ce phénomène, la mise en place de programmes de soutien à la parentalité s’avère être, sur le plan international, une voie avantageuse pour assurer la protection des enfants (Comeau, Desjardins, & Poissant, 2013 ; Delawarde et al., 2014; Gagné & Bacque Dion, 2018; Lundahl, Nimer & Parsons, 2006; Mikton & Butchart, 2009). Intéressées par cette approche de prévention de la maltraitance, nous avons mis en œuvre une démarche de recherche-action visant l’élaboration et l’expérimentation d’un programme d’éducation aux compétences parentales émanant de la réalité libanaise.

L’éducation parentale, comme cadre théorique de la présente recherche-action, constitue une approche préventive et curative en matière de protection de l’enfance. Ce cadre s’appuie sur le soutien à la parentalité pour outiller les parents par des stratégies disciplinaires positives dans le but de favoriser la sécurité des enfants et réduire les risques de maltraitance (Saint-Jacques, Turcotte et Oubrayrie-Roussel, 2012, US Preventive Services Task Force, 2018). L’approche cognitive comportementale en constitue le cadre opérationnel permettant de mettre en œuvre une démarche intellectuelle mobilisant les savoirs au service de l’action (Sellenet, 2009). Le tout s’insère dans une perspective d’empowerment qui accorde aux parents une place de partenaires dont l’expertise est reconnue par une posture professionnelle « libératrice de compétences » (Observatoire National de l’Enfance en Danger, 2007, p. 78).

En cohérence avec ce cadre et privilégiant une démarche de co-construction de nouvelles perspectives éducatives (Pitteloud, 2012), nous avons tenu à élaborer le programme d’éducation parentale en réponse aux besoins spécifiques des parents libanais. Dans ce but, une étude de besoins a été menée auprès des équipes professionnelles dans cinq associations spécialisées, ainsi qu’auprès de parents (56), (21 pères et 35 mères), faisant preuve de pratiques éducatives violentes. L’approche privilégiée est de nature qualitative qui préconise une lecture constructiviste de la réalité pour saisir de près l’expérience des acteurs concernés. Une grille d’analyse a servi d’instrument de collecte des données auprès des équipes professionnelles, alors que des focus groupes ont été menés auprès des parents.

Les résultats recueillis fournissent des informations contextuelles sur le vécu contraignant des mères aux prises avec une précarité criante qui compromet leurs compétences parentales. De plus et au-delà des difficultés liées à l’exercice du rôle parental, l’expérience partagée par ces femmes met en lumière un besoin d’individualisation dans un chez soi patriarcal porteur de préjudices. Trois dimensions clés relèvent de cette expérience limitative des mères et interpellent foncièrement les logiques de l’intervention sociale qui se veut libératrice et vecteur d’empowerment : 1- Des facteurs matériels et culturels qui occultent le droit à l’individualisation de la femme-mère et par conséquent celui de l’enfant. 2- Une fonction éducative conventionnelle et quasi solitaire assignée à la mère par des normes sociales sexuées, renforcée par des approches professionnelles et institutionnelles traditionnelles ; 3- un statut maternel fragilisé par un débordement statutaire de l’enfant engageant mère-enfant dans un cycle d’incohérences qui occulte à la mère son rôle protecteur et à l’enfant son droit à la sécurité et au développement.

Maltraitance, précarité, mères, empowerment, individualisation