L’invisibilisation du délaissement parental dans la protection de l’enfance française
Année : 2022
Thème : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...
Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...
Auteur(s) :
FABRY Philippe (France) – philippefabry@live.fr
Résumé :
Plus d’un demi-siècle après de grandes études longitudinales anglo-saxonnes portant sur le devenir des enfants placés, la première grande enquête française, L’« Étude sur l’accès à l’autonomie des jeunes placés » (ELAP ), débutée en 2013, aboutit au constat d’un délaissement parental massif pour les jeunes adultes à la fin des mesures de protection. Un jeune sur deux dit ne pas pouvoir être aidé par ses parents, environ un sur quatre ne les voit plus.
Comment comprendre qu’un délaissement aussi massif ne soit pas reconnu légalement ?
Cette situation est très défavorable pour les jeunes concernés mais aussi pour leurs parents : la fiction de leur présence permet de masquer les problèmes à l’origine du désinvestissement de leurs rôles parentaux.
Les explications que je propose sont de différents ordres. Tout d’abord il y a un problème dans la définition légale du délaissement, qui est assimilé à un abandon de l’enfant. Cela ne permet pas de concevoir des degrés de délaissement et notamment deux de ses formes : le délaissement progressif et le délaissement intermittent.
Un deuxième problème est que la question de la possibilité ou non d’un retour en famille de l’enfant placé est soigneusement évitée. De ce fait, il n’y a aucun outil d’évaluation à ce sujet. La question peut être facilement évitée avec la possibilité de placer provisoirement sans limite de durée (il suffit de renouveler les mesures provisoires). Le provisoire peut ainsi durer de la naissance jusqu’à l’âge adulte.
Notons à ce sujet que les enfants placés dans leurs deux premières années sont ceux qui retournent le moins vivre en famille (Esposito 2015). L’absence durable de projet de retour en famille est aussi rendue invisible par ce que je nomme « l’idéologie du retour » (Fabry 2021). Le retour en famille, étant un projet universel pour tous les enfants placés, peut rester implicite et n’a donc pas besoin d’être outillé. « La possibilité d’un retour devient un principe, un quasi-attribut de l’autorité parentale, un droit supposé traduire le respect de la place des parents » (Fabry 2019).
Une forme de sacralisation de l’autorité parentale des parents légaux, met dans l’ombre le quotidien de l’enfant et ses autres figures parentales. Ce qu’exprime ainsi Pierrine Robin (2013) : la philosophie du dispositif français de protection « vise à travailler le lien de l’enfant avec ses parents d’origine, la finalité visée étant le retour en famille. Peu de place est donc laissée à la conception de liens de parentés plurielles et au renforcement des supports que peut constituer la famille élargie et élective ».
De ce fait la France n’a pas suivi cette révolution européenne qui consiste à confier l’enfant dans sa famille élargie. Ce type de confiage ne concerne que 7% des enfants placés.
Ce fonctionnement, que l’on peut associer à l’exclusivité du lien de filiation - un enfant ne doit avoir qu’un père et qu’une mère – rentre de plus en contradiction avec les évolutions de la famille : "La polarisation de la famille sur l’affectif disqualifie les unions qui ne sont pas prioritairement au service de l’échange amoureux, de même que les filiations qui ne s’actualisent pas dans une relation d’attachement mutuel structurante pour l’enfant » (Ouellette, 1998).
Un point souligné par de nombreux rapports préparatoires à la loi du 14 mars 2016 est la fréquente inadéquation des statuts de protection, et notamment que des mesures d’assistance éducative sont maintenues quand il n’y a pas d’assistance éducative des parents dans la réalité. La loi prévoit des commissions pluridisciplinaires et pluri-institutionnelles d'examen de la situation des enfants confiés à l’Aide sociale à l’enfance (ASE).
Mots clés :
Le travail de care, Action alternative, Acteurs, Institutionnalisation placement parentalité
← Retour à la liste des articles