Faire dialoguer la recherche-action participative et l’approche intersectionnelle : implications et enjeux épistémologiques, méthodologiques et politiques pour le travail social et les personnes concernées
Année : 2022
Thème : Aucun
Type : Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...
Auteur(s) :
Robichaud Marie-Joëlle (Canada) – marie-joelle.robichaud@uqo.ca
Marchand Isabelle (Canada) – isabelle.marchand@umontreal.ca
Résumé :
La recherche-action participative (RAP) et l’approche intersectionnelle ont des visées complémentaires. Toutes deux ont pour objectif de documenter les expériences des personnes marginalisées et de produire des savoirs qui ont été le plus souvent occultés par les perspectives scientifiques et les institutions dominantes. À la fois paradigme, approche de recherche et cadre d’intervention sociale (Heron et Reason, 1997; Hills Collins et Bilge, 2016), la RAP et l’intersectionnalité offrent un large potentiel heuristique permettant de saisir ce qui « tenu hors du politique » (Dorlin, 2008 : 10). Partageant une épistémologie du positionnement, elles impliquent, voire obligent de porter attention aux inégalités épistémiques de façon à ne pas les reproduire et, surtout, de déconstruire les relations de pouvoir enfouies dans la production des connaissances jugées valables et valides (Godrie et Dos Santos, 2017). Ancrées dans un éthos de justice sociale et une visée de transformation ou de changement social (Fals-Borda et Rahman, 1991; Freire, 1973; Hill Collins, 2012), tant la RAP que l’intersectionnalité s’inscrivent aussi comme une praxis qui cherche à transformer l’intervention sociale et les pratiques quotidiennes oppressives à partir et avec les personnes concernées. En cela, elles sont cohérentes avec les assises du travail social critique qui questionnent l’ordre établi et prônent l’établissement de relations égalitaires avec les personnes usagères des services (Payne, 2014). Ces praxis soutiennent aussi l’usage de pratiques dialogiques et réflexives qui aspirent à soutenir le développement du pouvoir d’agir ayant la portée de transformer les conditions de vie et, en amont, les structures sociales oppressives (Mullaly, 2007).
Dans la montée de la popularité des approches participatives, la RAP a pénétré plus largement le domaine du travail social et séduit les chercheur.se.s qui la mobilisent tant comme « instrument de connaissance scientifique et outil de mise en forme d’une pratique » (Foucart, 2014, p.85). Parallèlement, Bilge (2015, p.10) rappelle le « succès inégalé » de l’intersectionnalité dans le champ des sciences sociales depuis quelques 10 ans. Au sein des mouvements sociaux et dans le domaine de l’intervention sociale au Québec, l’intersectionnalité représente dorénavant le modus operandi au sein des associations mobilisant des perspectives critiques (féministe, antiraciste, décoloniale, etc.) (Marchand et al., 2020). Le foisonnement de ces approches en travail social a donné lieu à l’émergence d’un ensemble de pratiques de recherche et d’intervention hétérogènes, promouvant la réduction des inégalités dans la production des savoirs et la mise en œuvre des pratiques, mais aussi en transformant les rapports afin de permettre l’émancipation des personnes concernées. L’« académisation » de la RAP et de l’intersectionnalité dans le monde de la recherche-intervention nous amènent à questionner leur « traduction » dans ces lieux normatifs, régis par des règles scientifiques, disciplinaires et professionnelles spécifiques qui portent le risque de les éloigner des mouvements sociaux qui les ont vu naitre. Il apparait dès lors légitime de se questionner sur la réelle portée de transformation sociale des RAP et de l’intersectionnalité comme cadre d’analyse et d’action du travail social pour révéler les expériences d’oppression et d’injustice des personnes concernées. Comment éviter l’instrumentalisation de ces approches, ou encore leur idéalisation, dans nos dispositifs de recherche ? De quelle manière ces dernières peuvent-elles véritablement se positionner comme des cadres émancipatoires au service des personnes les plus marginalisées ? Quelle vigilance les chercheur.se.s et intervenant.e.s du travail social doivent-iels exercer pour répondre aux défis éthiques et politiques qu’exigent ces approches? C’est à ces questions que tentera de répondre cette communication en proposant une juxtaposition des deux cadres d’analyse afin d’en relever les enjeux épistémologiques, méthodologiques et politiques de la RAP et de l’intersectionnalité, appliqués au domaine du travail social et aux personnes concernées.
Mots clés :
Intervention sociale et travail social, Participation, Savoirs, Intersectionnalisme
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