Ecrire, disent-ils : pour une reconnaissance de la culture de l’écriture des éducateurs spécialisés dans la formation aux écrits professionnels
Année : 2022
Thème : Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...
Type : Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...
Auteur(s) :
Wantier Bénédicte (Belgique) – benedicte.wantier@heh.be
Résumé :
Les éducateurs spécialisés écrivent, cette pratique qui n’est pourtant pas la plus visible est inhérente à leur métier et constitue le socle à partir duquel ils élaborent leur accompagnement (Rouzel, 2004). Leur souci premier de rendre compte du vécu de chaque personne comme sujet de relation se heurte toutefois aux pressions d’efficience technicienne, aux écarts entre les pratiques désirées et les pratiques effectives, à la discontinuité de la responsabilité énonciative des écrits décisionnels et à un sentiment de non-légitimité (Cambon, 2009). Ces difficultés sont souvent ignorées dans les demandes de formation initiale et continue, ce qui pourrait conduire à concevoir des dispositifs formalistes en réponse au poncif : « Les éducateurs ne savent pas écrire ».
Sous cette formule réductrice, se dissimule le déni d’une culture de l’écriture effective, située, avec ses repères, ses contours, ses fondements. Comment dès lors former à l’écriture professionnelle ? Comment soutenir les éducateurs dans le développement et l’ajustement de leurs pratiques ? Partant du postulat qu’une construction didactique se définit par « des pratiques sociales, des valeurs de société plus que des objectifs et des méthodes inhérents à l’objet d’étude » (Rosier, 2002), il s’agit d’abord de tenter de circonscrire les pratiques d’écriture des éducateurs et les valeurs qu’elles véhiculent, en référence à leur métier. Une première étape exploratoire de la recherche a consisté à recueillir des traces d’écriture, des paroles d’éducateurs et de bénéficiaires sur des productions dans divers secteurs (institutions du handicap, services mandatés de l’aide à la jeunesse, services d’action en milieu ouvert, foyers d’hébergement, maisons de repos et de soins, travail de rue, etc.). Le corpus ainsi constitué rend compte d’un foisonnement de types d’écrits et de pratiques, fluctuant selon les logiques internes des secteurs et leurs enjeux explicites ou sous-jacents, (émancipation, réification), le fonctionnement des organisations (processus qualité, évaluations, contrôle, instrumentation), ou encore, les méthodologies et orientations des projets institutionnels. Ces pratiques s’inscrivent par ailleurs dans des dynamiques d’équipes au sein desquelles l’éducateur jouit d’une reconnaissance variable, qui va de la légitimité à l’invisibilité. A l’échelle de l’analyse des discours, la variété des usages rend également compte d’une fragilité à fonder un discours propre (Gaberan, 2013), pour ce métier de l’ « entre », qui cultive la discrétion par essence.
Partant du constat du caractère flottant de notre objet d’étude, nous privilégions une approche ethnographique de l’écriture (Denis & Pointille, 2012), plutôt que par les genres de discours, laissant le soin aux professionnels de faire émerger leur culture dans leur contexte. La restitution d’un corpus approfondi au fil des rencontres permet de préciser progressivement le paysage de l’écriture esquissé avec les acteurs concernés, à partir duquel ils interrogent, redéfinissent et redonnent du sens à leurs pratiques. La récurrence de cette méthode a permis de révéler un noyau commun autour duquel il est possible de fonder les pratiques d’écriture des éducateurs : elles prennent consistance dans une posture discursive qui s’envisage dans le prolongement de leur posture éducative (Bouchereau, 2017) et se déploie dans un ensemble de pratiques variées réordonnées autour de considérations éthiques.
En formation initiale, l’apprentissage participe du même mouvement : aller à la rencontre de chaque étudiant, l’impliquer dans une observation participante, l’aider à s’acculturer à la complexité des enjeux, prendre confiance dans sa capacité à penser et à écrire pour s’approprier cet acte fondamental dans un champ d’expérience, dégagé de l’inertie d’attentes d’un savoir écrire formaliste et infécond, avec l’objectif explicite que chacun assume sa posture éducative jusque dans l’écrit, pour une visibilité réfléchie du métier.
Mots clés :
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