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« J’ai des situations difficiles, mais pas du genre à subir de l’itinérance en tant que tel » : L’itinérance et la domiciliation précaire chez les jeunes – réfléchir les notions dominantes d’itinérance, de risque et la désaffiliation sociale.

Année : 2022

Thème : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...

Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...

Auteur(s) :

GAULIN dominique (Canada) – dominique.gaulin@umontreal.ca – Etudiant
MacDonald Sue-Ann (Canada) – sueann.macdonald@umontreal.ca

Résumé :

Depuis une quinzaine d’années s’opère une transition vers une « invisibilisation » de l’itinérance chez les jeunes, contrairement aux années 1980 où ils occupaient de façon plus visible les centres-villes (Bellot et Sylvestre, 2017). Alors que le courant néolibéralisme met l’accent sur les responsabilités individuelles, l’État serait davantage porté à produire des mécanismes de sécurité et d’ordre public qu’à mettre en place des mécanismes de solidarité et de protection sociale, qui correspondent à une logique de responsabilité collective. On mise davantage sur des logiques de judiciarisation, qui prennent alors le relais des politiques sociales, au sens strict, et visent davantage la répression que la protection des populations qualifiées de groupes à « risque » (Bellot et Sylvestre, 2017). Par crainte qu’ils dérangent, causent du désordre ou se compromettent, on limite leurs accès aux espaces communs (Parazelli, 2010). Cette judiciarisation de la jeunesse précaire et/ou errante génère un fardeau supplémentaire chez les jeunes, leur appose un stigmate. Ce stigmate peut avoir des effets dévastateurs et les priver d’opportunités. Dans les cas des jeunes appartenant à ce qu’au Québec on appelle les « minorités visibles », les dynamiques de la gouvernance néolibérale se combinent à des phénomènes de ségrégation ethnique, spatiale ou de genre, ce qui donne lieu à des tensions sociales particulièrement importantes (Bejarano, 2007 ; Deville, 2007 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2011). Combinés aux politiques de la ville sécuritaire, ces phénomènes de ségrégation se traduisent facilement par des formes de stigmatisation qui associent les jeunes appartenant aux minorités visibles aux problèmes que la gouvernance sécuritaire de la Ville cherche à contrôler (Gonzalez-Castillo et Goyette, 2015).

Cette réalité a été exacerbé par la pandémie de COVID-19, qui outre le fait d’augmenter le risque de contracter le COVID-19 chez les jeunes en situation d’itinérance et de domiciliation précaire (Culhane et coll., 2020; Perri et coll., 2020), est venue à la fois invisibiliser et rendre supra-visible la situation de ces jeunes au sein des villes, notamment dans les quartiers dits défavorisés (MacDonald et Gaulin, 2022). Les réponses du Gouvernement à la COVID-19, en particulier en ce qui concerne les déterminants sociaux de la santé, n'ont pas été vécues de la même manière par tous les groupes sociaux, notamment en raison des différences dans les possibilités matérielles et structurelles des différents groupes (accès à un ordinateur, au transport, à l’éducation, à l’espace domicilier pour les études, etc.) (Frohlich et coll., 2022; MacDonald et Gaulin, 2022). C’est dans ce contexte que notre équipe de recherche a réalisé un projet de recherche-action en partenariat avec le Centre des jeunes l’Escale, un organisme de milieu qui travaille auprès des jeunes âgés de 15-25 ans, afin de documenter et qualifier le phénomène de l’itinérance et de la domiciliation précaire à Montréal-Nord, Québec, Canada, l’un des arrondissements les plus défavorisés de Montréal (Gonzalez-Castillo et Goyette, 2015). Il est également un quartier à fortes tendances multiculturelles, plus du tiers de la communauté provenant de l’immigration, notamment haïtienne (Ville de Montréal, 2018). Les jeunes du quartier font face à des défis de taille en ce qui concerne l’éducation, les possibilités de réalisations, l’emploi, le logement et la judiciarisation (Gonzalez-Castillo et Goyette, 2015 ; Tichit, Aubert et Baril, 2011).

L’objectif de cette présentation est de rendre compte des perceptions et enjeux reliés à l’itinérance et la domiciliation précaire chez les jeunes. Les entrevues réalisées font état d’un subtil processus de désaffiliation sociale et d’une absence de « chez-soi » (et non pas nécessairement de « toit ») sécuritaire et sécurisant. Elles soulèvent des trajectoires de vie fragilisées, notamment par la COVID-19, et caractérisée par de multiples défis, ruptures et contraintes. On observe également un refus de s’identifier à l’itinérance ou de se victimiser. En outre, les programmes et les services reliés à l’itinérance et la domiciliation précaire relèvent du champ social et de ses contours normatifs, ancrés dans une idéologie dominante néolibérale, et semblent être en décalage avec la réalité psychique et sociale des jeunes à qui ils s’adressent. Cette présentation ouvre également la porte à des réflexions méthodologiques, éthiques et épistémologiques, de notre expérience, sur notre posture d’universitaire blanches, réalisant une recherche sur l’itinérance en contexte interculturel. Les entrevues réalisées amènent à remettre en question le concept même d’itinérance et la lunette par laquelle ce phénomène est analysé et mettent en lumière la complexité des situations des jeunes, ainsi que de leurs oppressions et de leur histoire. Elle souligne l’importance d’analyser l’itinérance au croisement des différentes dimensions (culturelles, sociales, économiques, religieuses, etc.) qui composent les réalités des jeunes concernés (Roy et Grimard, 2015) afin d’éviter une nouvelle stigmatisation.

Mots clés :

Recherche-action, Citoyenneté, Itinérance; jeunes; injustice épistémique

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