Enseigner à penser critiquement pour intervenir socialement
Année : 2023
Thème : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...
Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...
Auteur(s) :
MOTOI Ina (Canada) – ina.motoi@uqat.ca – Enseignant ou formateur
Résumé :
Au Québec, à cette époque de gestion managériale de l’intervention sociale, de la recherche et de l’information, les étudiants sont à risque de devenir des instruments dociles entre les mains d’administrateurs en position de pouvoir et d’appliquer automatiquement règles et procédures « efficientes » sans avoir même besoin de les comprendre ou de choisir de les mettre ou non en pratique. D’où l’importance d’enseigner à ces futurs travailleurs sociaux à penser critiquement afin qu’ils ne se laissent pas désorientés et noyés par la quantité de prescriptions qui les empêcheraient de prendre par eux-mêmes des décisions professionnelles responsables.
D’ailleurs, en travail social, les descriptifs des cours emploient souvent les termes d’esprit critique, d’analyse critique, de réflexion critique. Comment cette dimension critique est-elle prise en compte lors de la formation offerte ? Valorise-t-elle le jugement professionnel des intervenants sociaux, leur perspective disciplinaire et leur éthique professionnelle, ainsi que la place qu’ils occupent dans la société ? Ou bien enseignons-nous l’idéologie managériale productiviste qui accélère sans cesse la cadence de leur rythme de travail à l’aide de protocoles et de logiciels ? Selon les multiples témoignages des étudiants travaillant dans le réseau des services sociaux et de santé, un travail à la chaîne est imposé et il empêche que des liens sociaux se tissent entre eux et entre eux et les personnes accompagnées. Ce qui invalide au départ la portée de leur action. De plus, dans ce cadre référentiel, comment exprimer ce qui est insoutenable dans les présentes conditions de travail ?
Devant la difficulté de trouver au travail le temps de réfléchir afin de prendre une décision professionnelle, mobiliser par l’enseignement la pensée critique des étudiants est une question d’intelligibilité et de cohérence. De ce fait, il faudrait les accompagner à reconnaître de qui provient le message, pour qui il est émis, pourquoi et selon quels intérêts - de façon qu’ils appréhendent les enjeux humains et sociaux, les résistances et les souffrances actuelles (Gonin et al., 2013; Dubois et Boudou-Laforce, 2017) afin de les prendre en considération. D’ailleurs, en travail social, plusieurs angles de vue, et surtout pas un seul, s’ouvrent sur les mêmes situations. Chaque regard s’établit par la valeur de ce qu’il positionne comme pertinent. Plusieurs modalités de réflexivité sont enseignées pour comprendre les personnes à accompagner et ne pas leur imposer un dogme posé comme seule vérité ou raisonnement possible : la pratique réflexive, la conscientisation, la critique sociale, la pensée critique dialogique et la délibération éthique (Motoi, 2016). Le rôle de chacune se complexifie en s’approfondissant par la continuation de l’une dans l’autre Elles s’appuient sur deux cheminements de la pensée qui participent à la construction du rapport direct du futur travailleur social au savoir : le cheminement d’une pensée naïve à une pensée réflexive et celui d’une pensée réflexive à une pensée critique dialogique. En tant qu’enseignants, nous pouvons faciliter l’engagement des étudiants à élaborer ces deux niveaux de leur compréhension de ce qui est en jeu pour intervenir socialement.
Lors du premier niveau de cette compréhension, les individus appréhendent leur pensée naïve par la distanciation réflexive d’une situation donnée lors de la pratique réflexive et de la conscientisation sous l’impact du contradictoire. Lors d’un deuxième niveau de compréhension, leur pensée réflexive devient critique lorsque ces gens articulent une critique sociale en contextualisant leurs conditions de vie et de travail qu’ils évaluent à l’aide de critères. Ce processus se continue lorsque ces personnes cogitent sur leur propre pensée avec les pairs dans un dialogue de proximité pour construire de manière intersubjective du sens à la lumière d’un approfondissement éthique de leur responsabilité humaine et sociale.
Mots clés :
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