Regard critique sur les conditions de pratique en protection de la jeunesse à la lumière de la perspective des systèmes de Munro

Année : 2023

Thème : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...

Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...

Auteur(s) :

Robichaud Marie-Joëlle (Canada) – marie-joelle.robichaud@uqo.ca – Chercheur
Vargas Diaz Rosita (Canada) – rosita.vargas-diaz@tsc.ulaval.ca
Leclair Mallette Isabelle-Ann (CANADA) – isabelle-ann.leclair.ccsmtl@ssss.gouv.qc.ca

Résumé :

En 2019, le décès tragique d’une fillette desservie par les services de protection de la jeunesse (PJ) a indigné le Québec tout entier et catalysé un mouvement exigeant des changements dans le système de PJ et le soutien aux familles en situation de vulnérabilité. La mise sur pied de la Commission spéciale sur le droit des enfants et la protection de la jeunesse (CSDEPJ) a permis d’entendre plus de 2000 personnes concernées proposant des pistes d’action. Le rapport final détaille « un projet de société » (p. 415) où on évoque la bienveillance et le courage de mettre en œuvre des changements majeurs à tous les niveaux du système. Parmi ceux-ci, la CSDEPJ est sans équivoque quant à l’importance de s’attaquer aux conditions de pratique des professionnelles. Le rapport identifie entre autres la détresse des intervenantes, l’alourdissement de la charge de travail, la pénurie de personnel, le risque d’épuisement ainsi que le manque de soutien et d’accompagnement parmi les éléments phares à résoudre pour juguler les problèmes de la pratique et leurs effets délétères sur les jeunes et leur famille. On y lit que : « [Les intervenantes] estiment que les conditions de pratique ne leur permettent pas de dispenser des services de qualité au bon moment et à la hauteur des besoins » (CSDEPJ —, 2020, p. 3). Ces assertions sont graves et invitent à des changements majeurs afin de satisfaire les attentes cliniques, éthiques et sociales face aux services de PJ.

Or, à fouiller les rapports qui ont jalonné les réformes du système de PJ au Québec, il est frappant de constater la récurrence de ces enjeux depuis 40 ans. Face à la persistance historique des conditions de pratique difficiles et pour réfléchir la portée du rapport de la CSDEPJ, nous proposons d’adopter une perspective d’analyse des systèmes (Munro, 2005;2010;2019). Cette perspective invite à comprendre les conditions organisationnelles et structurelles qui permettent l’émergence “d’erreurs” ou de pratiques inadéquates dans le système de PJ. Étant donné la complexité et les risques associés à cette pratique, les “erreurs” ou les “drames” sont inévitables (Munro, 2005). En ce sens, Munro (2011;2019) argumente que pour les réduire au maximum et améliorer la performance globale des systèmes de PJ, il faut que les « erreurs », qui sont souvent individualisées au niveau des professionnelles, soient plutôt analysées au sein d’un système managérial et organisationnel plus large. Plus précisément, il faut comprendre comment: 1) la culture, 2) le système organisationnel et 3) les conditions de pratique influencent l’exercice des professionnelles et de quelle façon cela pèse sur 4) la qualité des services aux jeunes et à leurs familles (Munro et Hubbard, 2011).

L’objectif de cette communication, s’inscrivant dans l’axe 4 de l’appel à proposition, est de présenter, à la lumière de ces dimensions (Munro et Hubbard, 2011; Munro, 2019), une analyse critique des conditions de pratique des professionnelles des services de PJ telles que présentées dans le rapport de la CSDEPJ. L’analyse thématique complète du rapport permet d’identifier certains angles morts : 1) l’absence de remise en question de la culture du « risque nul » intimement liée au contexte de PJ ; 2) la concentration de recommandations de type managérial qui resserrent la pratique plutôt que l’assouplissent; 3) l’uniformisation de la formation et de la pratique à l’échelle provinciale, plutôt que l'adéquation aux spécificités régionales ; 4) une individualisation de la souffrance professionnelle avec des stratégies misant sur l’adaptation plutôt que sur le changement de culture ; 5) un accent somme toute assez faible sur la question de la qualité des services rendus aux jeunes et à leurs familles comme étendard de la qualité des conditions de pratique des professionnelles. La présence de ces angles morts permet déjà d’anticiper que le changement de culture visant à modifier le système de PJ dans son ensemble ne s’avérera pas au Québec.

Mots clés :

Culture professionnelle, Gestion publique, Protection sociale

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