De la dématérialisation de l’État social à l’institutionnalisation d’un droit d’inclusion numérique : exploration sociologique et éthique

Année : 2023

Thème : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...

Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...

Auteur(s) :

BICKEL Jean-François (Suisse) – jean-francois.bickel@hefr.ch – Chercheur

Résumé :

A l’instar des autres pays, la Suisse a entamé la dématérialisation de ses administrations étatiques et services publics (e-administration, aussi appelée cyber-administration en Suisse) à la fin des années 1990. D’abord centré sur leur fonctionnement interne, le processus de dématérialisation s’est ensuite élargi aux relations et transactions entre ceux-ci et leurs usagers et usagères, un mouvement qui s’est accéléré au cours des dernières années (avant et avec la pandémie Covid-19). La rhétorique officielle légitime et promeut les nouveaux dispositifs numériques en ce qu’ils permettent de lever les obstacles géographiques et temporels et de faciliter ainsi l’accès, de simplifier et d’accélérer les démarches, d’adapter le fonctionnement des administrations et services à une société désormais numérique, ou en voie de numérisation, et aux modes de vie, de faire et de penser qui lui sont associés. Or, loin de cette image d’Épinal, la dématérialisation instaure une nouvelle conditionnalité, une conditionnalité numérique, venant s’ajouter aux conditions strictement réglementaires, freinant ou faisant obstacle à l’accès aux droits, sociaux notamment, pour une diversité de publics (Brotcorne, Bonnetier & Vendramin, 2019 ; Mazet, 2017).
Une partie des usagers et usagères, mis-e-s en difficulté ou en incapacité par les procédures dématérialisées, se tournent vers les travailleurs et travailleuses sociales pour requérir leur aide. Ce travail pour accompagner/former/soutenir les usagers et usagères dans leur navigation sur les chemins digitalisés d’accès aux droits et prestations sociales – qui se mue dans certains cas en une véritable délégation (avec transmission des identifiants et codes informatiques) – devient dès lors un domaine propre d’intervention (e.g. Breit & Salomon, 2015 ; Sorin, 2019). Un tel développement met à l’épreuve les savoirs, savoir-faire et valeurs qui orientent la professionnalité, les cadres institutionnels et organisationnels qui régulent l’activité. Quant aux réponses déployées au quotidien, elles sont empreintes d’incertitudes : relevant le plus souvent du bricolage et de l’auto-mandat, elles varient selon des ressources (équipements, formation…) et des contextes (organisationnels, champs d’intervention) inégalement présents ou soutenants (e.g. Mazet & Sorin, 2020 ; Pors & Schou, 2020).
En réaction à cette situation, « l’inclusion numérique » s’est imposé comme leitmotive / mot d’ordre, et des premières ébauches de définition et d’institutionnalisation d’un « droit d’inclusion numérique », venant s’adosser à, et étendre la citoyenneté sociale ont vu le jour (e.g. Observatoire de l’éthique publique, 2021).
S’appuyant pour partie sur une recherche récemment achevée portant sur le déploiement de la cyberadministration dans le canton de Fribourg (Suisse) et son impact pour les professionnel-le-s du travail social (voir Vatron-Steiner, Bickel & Rossier, 2022), pour partie sur une recherche documentaire et des réflexions en cours, cette communication prendra précisément pour objet l’idée, et la revendication d’inclusion numérique et s’attachera à scruter le processus d’institutionnalisation d’un droit d’inclusion numérique. Adoptant une approche de sociologie de l’action publique par les droits (Baudot et Revillard, 2015), elle visera à identifier l’influence du contexte institutionnel sur ce processus, les acteurs de celui-ci, les cadres d’interprétation et de valuation qu’ils mobilisent, les formes de son instrumentation (Lascoumes et Le Galès, 2004). Dans ce cadre, elle examinera également comment et selon quelles modalités les implications d’un droit d’inclusion numérique pour les pratiques et le mandat du travail social sont prises en compte et formalisées. Elle se conclura par une série de réflexions sur la signification éthique que l’on peut associer au droit d’inclusion numérique, en prenant plus particulièrement appui sur l’approche des capabilités (Sen, 2000, 2010 ; Nussbaum, 2011).

Mots clés :

Numérique, Etat social, Intégration

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