« Moi, je savais pas qu’on allait partir pis j’ai pas pu prendre des affaires! » L’expérience des enfants et des adolescents en maison d’hébergement pour femmes victimes de violence.

Année : 2023

Thème : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...

Type : Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...

Auteur(s) :

THIBAULT Jacqueline (CANADA) – jthib022@uottawa.ca – Etudiant
MOLGAT MARC (Canada) – marc.molgat@uottawa.ca

Résumé :

La pandémie de Covid-19 a exacerbé la vulnérabilité des femmes et des enfants vivant dans un contexte de violence conjugale (Peterman et al., 2020; van Gelder et al., 2020). Le Québec a ainsi assisté à une vague d’homicides en contexte de violence conjugale (Fernet et Dion, 2021; Lacroix-Couture, 2021) et à une augmentation des signalements aux services de protection de la jeunesse (Gagné, 2021). Cette situation sans précédent a forcé les ressources d’aide et d’hébergement pour femmes et enfants victimes de violence conjugale à repenser leur offre de services, leurs politiques et leurs pratiques d’intervention (Lapierre et al., 2022). Certains changements perdureront bien au-delà de la pandémie (Cortis et al., 2021).
Bien que l’importance de consulter les usagers avant de changer les services, les politiques et les pratiques d’intervention soit reconnue, les enfants sont souvent ignorés dans ces processus (Lloyd-Smith et Tarr, 2002; Swauger et al., 2017), particulièrement dans des contextes d’urgence comme celui créé par la pandémie. Considérant le maintien des changements sur le long terme au sortir de la pandémie, il semble d’autant plus important de tenir compte de leur expérience et de leur point de vue pour la suite des choses.

Cette communication porte sur les résultats d’une étude visant à décrire et comprendre les expériences des enfants et des adolescents en maison d’hébergement pour femmes victimes de violence au Québec et en Ontario francophone. L’étude est basée sur 25 entrevues individuelles semi-dirigées qui ont été réalisées auprès de 16 filles et de 9 garçons âgés de 7 à 18 ans, qui ont vécu un séjour dans une maison d’hébergement pour femmes victimes de violence. Le cadre théorique privilégié est celui de la nouvelle sociologie de l’enfance qui invite à considérer globalement les enfants comme des acteurs sociaux et à les voir au plan de la recherche comme des sujets et non des objets d’étude, auprès desquels il faut s’enquérir pour mieux saisir les subtilités de leur vécu et de leurs points de vue (Christensen et Prout, 2005).

Les résultats de l’étude montrent l’importance et la pertinence de s’attarder aux voix des enfants et des adolescents exposés à la violence conjugale. Tout d’abord, les résultats mettent en évidence le caractère essentiel du séjour en maison d’hébergement, qui peut être vu comme une forme d’intervention en soi. Le fait de vivre en sécurité dans un milieu stable et exempt de violence, tout en participant à de l’intervention par le jeu, permet aux enfants et aux adolescents d’exprimer leurs émotions et leurs inquiétudes. Cependant, ce passage en maison d’hébergement oblige les enfants et les adolescents à faire de nombreux sacrifices, sur le plan de leurs amitiés et de leur fréquentation scolaire.

Les participants ont identifié de nombreux éléments positifs en lien avec leur séjour, incluant la prise de conscience qu’ils partagent un vécu commun avec les autres jeunes hébergés, la possibilité d’être écoutés et supportés par les intervenantes et la possibilité de participer à des activités spéciales. En revanche, la présence de nombreuses règles constitue un irritant majeur pour les enfants et les adolescents. Toutefois, les participants font preuve de discernement dans leur critique des règles, qu’ils ne rejettent pas toutes d’emblée; celles qui ne font pas de sens pour eux sont remises en question, comme l’interdiction de collations à certains moments, l’interdiction de recevoir des amis ou l’obligation d’aller se coucher à des heures qu’ils jugent trop tôt. Finalement, cette recherche appelle à une plus grande réflexion au niveau des sacrifices exigés des enfants, ainsi que de leurs mères : en tant que victimes dans ces situations, quelles politiques et quelles actions seraient à mettre en œuvre pour que leurs marges de liberté ne soient pas davantage entamées lors de leur séjour en maison d’hébergement?

Mots clés :

Intervention sociale et travail social, Enfant

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