SORIN François (France) – francois.sorin@askoria.eu – Chercheur

Notre communication articule l’attention portée aux pratiques numériques des travailleurs sociaux avec un questionnement sur les manières dont leurs interventions se tiennent dans une société « devenue numérique », dans laquelle les évolutions sociotechniques contribuent à redéfinir les modalités de la participation et de l’intégration sociale, de la communication interpersonnelle et de l’entretien des liens, de l’accès aux droits, aux savoirs, à l’information, au marché du travail, etc.<br />Dans ce contexte, le dispositif relationnel que constitue l’accompagnement devient le lieu de la confrontation potentielle de cultures et de pratiques numériques différentes, mais aussi un espace où s’observent et s’évaluent les écarts aux normes sociales d’usages des technologies (demandes d’aide numérique, pratiques jugées « inadaptées », etc..). Les observations issues de la pratique professionnelle résonnent avec les questions sociales numériques - lutte contre la « fracture » numérique ou « l’illectronisme » ; nécessités de l’éducation numérique, etc. - dont la description scientifique est en concurrence avec les discours politico-médiatiques où se constituent et se légitiment les nouvelles normativités socio-numériques. Pour les travailleurs sociaux, les injonctions à la transition « digitale », au développement des compétences et à l’adoption des « bonnes » pratiques, s’articulent avec celles de la maitrise de l’environnement technique, de la limitation raisonnée des pratiques connectées et du discernement face aux « dangers » du numérique. Cette tension excède le cadre professionnel et s’inscrit dans un continuum entre les pratiques numériques personnelles (ie. privées) des travailleurs sociaux et celles qui prennent place dans l’exercice de leurs missions. Elle résonne avec les paradoxes constitutifs du travail social et les tenailles qui en caractérisent la pratique, entre normalisation et émancipation, entre contrôle social et soutien aux aspirations des personnes accompagnées.<br />Loin de constituer une question professionnelle unique, « le » numérique contribue en fait à reconfigurer l’environnement dans lequel se déploie l’accompagnement, et à en actualiser les coordonnées tant au niveau de l’organisation et des conditions de travail qu’à celui des pratiques professionnelles.<br />Pourtant, et parce que perçu comme une question essentiellement technique, le numérique se donne sur les terrains professionnels sous le signe de la menace et/ou de la dépossession, et comme un objet externe qu’il faudrait intégrer ou repousser. En nous basant sur les données recueillies dans le cadre d’une recherche doctorale, nous souhaitons présenter l’hypothèse selon laquelle le travail social rencontre moins une crise qu’un moment numérique, se définissant à la fois comme une « période » (un intervalle de temps) où se manifestent de nouveau, et à nouveaux frais, les préoccupations et les délibérations professionnelles autour des technologies et ses usages et « une occasion » (un moment opportun, un Kairos) pour les acteurs du champ professionnel de se (ré)approprier les technologies qui compose leur environnement personnel et professionnel.

Numérique, Question sociale, Intervention sociale et travail social